A l'occasion de la sortie du disque dirigé par Patrick Ayrton, consacré à deux symphonies de l'opus 1 et aux concertos pour violon, clavier et flûte de Touchemoulin, voici quelques mots sur une musique qui n'est pas mon répertoire habituel.
Je dois reconnaître à ma grande surprise que l'usage des instruments d'époque m'a paru aussi pertinent et séduisant que dans les enregistrements d'Hogwood des symphonies de Mozart ou de Haydn, ce qui est d'autant plus aisé que je n'ai pas dans l'oreille de version sur instruments romantiques ou modernes, et pour cause puisqu'il s'agit quasiment d'une première:
Jusqu’en 2004, avant que Patrick Ayrton, claveciniste et professeur au Conservatoire Royal de la Haye, n’en fasse la preuve on ignorait à peu près tout de Joseph Touchemoulin et notamment qu’il était né à Chalon sur Saône, en 1727, à l’angle de la rue des Fêves et de la rue des Cloutiers, d’un père oboïste. C’était pourtant écrit sur la plaque qui lui rend hommage dans l’église Saint-Emmeran de Regensburg (Ratisbonne), capitale de la principauté de Tour et Taxis dont il fut le Maître de Chapelle durant une cinquantaine d’années.
vue de l'Eglise Saint-Emmeran de Regensburg
plaque mortuaire de Touchemoulin, et traduction du texte:
Ici repose la dépouille mortelle du maître de chapelle du Prince de la Tour et Taxis, Joseph Touchemoulin, né à Chalon sur Saône en France. Religion sans hypocrisie, amour désintéressé du prochain et droiture caractérisèrent chaque action du défunt. Enlevé trop tôt à sa famille endolorie, le regretté quitta cette vallée d'épreuves non sans auparavant avoir bu à la coupe de la souffrance et de la vicissitude.« Enlevé trop tôt à sa famille », la formule est curieuse car Touchemoulin, mort en 1801 fit preuve d’une singulière longévité pour un homme de la fin du 18ème siècle, et qui lui survécut de sa famille ? l’un de ses frères peut-être, l’aîné comme le cadet ayant émigré vers Saint-Domingue.
Joseph Touchemoulin semble pourtant avoir joui de son vivant d’une grande célébrité, sa musique symphonique ayant été considérée à l’égal de celle des frères Haydn et des Moazrt, comme l’indique la présence de copies de ses œuvres déposées dans plusieurs bibliothèques d’Amérique du Nord, emportées par des musiciens qui firent comme Da Ponte le voyage vers les Amériques.
Les liens de Touchemoulin avec la Bourgogne paraissent s’être distendus, hormis la correspondance qu’il entretint avec ses parents, leur envoyant régulièrement de l’argent, sinon qu’il continua à faire venir de Beaune le vin qu’il répandit à la cour de Tour et Taxis, dont les princes furent à la fois les premiers promoteurs d’un service postal régulier, et parmi les premiers brasseurs et aubergistes de Bavière, étendant leur influence économique et commerciale jusqu’à Bruxelles.
Des symphonies de Touchemoulin furent jouées par le Concert Spirituel et éditées à Paris entre 1752 et 1754. Les éditions d’époques sont perdues, et l’essentiel de son œuvre n’est représentée que par des manuscrits conservés à Regensburg, dont la plupart restent à éditer, et à enregistrer, notamment les 10 dernières symphonies, représentatives de l’évolution du style du genre dans la lignée de Haydn. Tout ce qu’on connaît de sa musique aujourd’hui semble dater de sa jeunesse, et l’on ne peut malheureusement pas évaluer ce qu’il en est des transformations de son style durant cette période capitale de mutation et de constitution de la symphonie classique qui correspond en gros aux trente ans de la vie de Mozart.
Touchemoulin représente un exemple intéressant en cela que, très tôt violoniste dans l’orchestre du prince électeur Clément August Ier à Bonn, il put bénéficier de l’enseignement de Tartini à Padoue, lequel semble lui avoir appris plus qu’un simple perfectionnement de la technique du violon. En tant que virtuose de cet instrument il est probable qu’il était connu de Léopold Mozart dont la méthode instrumentale est la référence européenne de l’époque.
La musique de Touchemoulin se situe donc au carrefour de toutes les influences européennes : au sein de l’orchestre de Regensburg, considéré (par Kraus par exemple) comme l’une des meilleures formations européennes, il cotoya des compositeurs et des virtuoses prestigieux. Il est probable aussi, même s’il ne demeure que peu de partitions pour le théâtre, qu’il prêta la main à l’essor du singspiel, la première troupe de Schikaneder et Gerl étant originaire de Regensburg.
Lorsqu’il prit sa retraite, Touchemoulin put prétendre au versement d’une pension de 1000 florins, soit environ ce que les fonctions officielles de Mozart lui rapportait en exercice à la cour de Vienne (et la moitié du salaire de Gluck). Clémence n’en obtiendra pas 400 de l’empereur à la mort de son mari.