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| | Le Festin de Pétrone | |
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Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:17 | |
| J'ai écrit cette pièce il y a 33 ans (j'en avais 16) dans les 15 jours qui ont précédé mon incorporation à Coetquidan. Comme il s'agit d'une pièce en vers, elle ne présente évidemment aucun intérêt commercial. Néanmoins j'ai la faiblesse de la trouver toujours intéressante et d'actualité. Je n'ai rien changé à l'original hors un vers qui avait une syllabe de trop et le genre fautif dans l'original d'"épigramme". Ou plutôt si j'ai changé le titre, sous l'influence peut-être du tableau de Thomas Couture que je ne connaissais pas à l'époque et qui se trouve donner une idée assez exacte du décors et de l'atmosphère générale, en un peu moins "ravagée" que ne devrait l'être la scène.
Afin de s'épargner la lecture sur ce forum, on pourra trouver le texte ici:
Le festin de Pétrone, pdf
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Dernière édition par Sud273 le Sam 16 Juil - 16:39, édité 1 fois | |
| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:25 | |
| Illustration: Thomas Couture Les romains de la décadence, détail (Musée d'Orsay) AVERTISSEMENT De la comédie, de la bouffe, de la vie, de la mort; cette pièce est le produit d'un ulcère. Puisque son thème est dérisoire, elle affecte par dérision la forme de la tragédie. Je n'ai dérogé qu'à la règle tacite de bienséance qu'observaient les classiques; ils n'avaient qu'à la formuler mieux. On verra du sang sur la scène, on y parlera de meurtre et de sexe; que s'éloignent les cœurs sensibles et les détenteurs de certitudes. L'argument provient des chapitres 18 et 19 du livre XVI des Annales de Tacite, qui constituent l'unique source conservée sur Pétrone. On y constatera que, d'un paragraphe à l'autre, l'historien hésite sur le prénom du consul de Bithynie, l'appelant tantôt Gaius, tantôt Titus: les tenants de la seconde version pourront sans dommage pour la métrique, remplacer l'une par l'autre. Tout dans cette pièce est historique. Les sceptiques en trouveront la confirmation dans le Néron de Suétone. L'action se déroule trente-trois ans après la mort du Christ. Les personnages mis en scène ne connaissent Jésus qu'à travers les historiens latins et les évangiles gnostiques, dont certains théologiens ont prétendu, un temps, qu'ils étaient, non point la déformation, mais la source des textes canoniques. Qu'importe! tous les personnages évoqués ici sont morts depuis plus de dix-neuf siècles. Qu'en sera-t-il de l'auteur lui-même quand on lira ces lignes? Paix à ceux qui dorment. ARGUMENT Péthus Thrasea, sénateur, rend visite à Pétrone. Il lui demande s'il est prêt à mourir. L'autre lui retourne la question. Sur ce, ils décident de dîner ensemble. Entre les hors-d'œuvre et le premier service, une discussion s'élève à propos du théâtre. Pétrone, apprenant son exil, s'ouvre les veines. Il fait refermer ses blessures et parle d'amour. Pétrone meurt. PERSONNAGESGaius PETRONE anciennement consul en Bithynie, maintenant oisif Petus THRASEA sénateur romain Musonius RUFUS sénateur romain, philosophe austère, ami de Thrasea SILIA maîtresse de Pétrone et de Néron, femme de sénateur HERMEROS affranchi, autrefois au service de Pétrone, marchand depuis DIOTUS comédien d'atellanes ENCOLPE esclave de Pétrone ALSCYTE esclave Un questeur La scène est à Cumes, dans l'atrium à ciel ouvert de la villa de Pétrone, en 66 après Jésus Christ. | |
| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:41 | |
| ACTE PREMIER
Scène Première: ENCOLPE, ALSCYTE
ENCOLPE
Toi, qu'emporteras-tu?
ALSCYTE
Les cuivres des cuisines Serrés dans un ballot de soiries levantines, Les Lares en argent, quelques pichets d'étain, Je n'ai pu trouver mieux que ce maigre butin.
ENCOLPE
Ton sac sera trop lourd et sa musique douce Mettra tous les brigands de Cumes à nos trousses.
ALSCYTE
Que prendre, Encolpe, dis? Que nous a-t-on laissé, Que statues renversées et meubles fracassés? Les soldats du questeur remplissant d'or leurs poches Ont chargé d'un métal moins reluisant nos proches; Ils ont tout enchaîné, esclaves et chevaux: Voulussent-ils pousser le zèle jusqu'aux veaux Qu'ils nous eussent trouvé dans un coin de l'étable, Tremblants mais innocents... encor qu'un peu coupables.
ENCOLPE
Ils ne sont pas venus à bout de nos greniers, Et n'ont pas arrêté notre vieux cuisinier. Ne nous lamentons pas; dans trois heures, nos panses Goûteront des frayeurs la juste récompense. Les tonneaux sont intacts, pourquoi se chagriner?
ALSCYTE
J'ai peur que ce ne soit notre dernier dîner: Je crains d'avoir l'ivresse un soupçon moins sereine A l'idée que nos jours s'achèvent dans l'arène; Les chats ne m'aiment pas, alors les lions!
ENCOLPE
Au jour, Alscyte, nous filons...
ALSCYTE
Au premier carrefour On nous rattrape; esclaves fuyards l'on nous marque Du fer au front et nous voilà tondus. Remarque, Voleurs, nous ne risquons que la corde ou la croix.
ENCOLPE
Aies confiance en Encolpe et apprends de surcroît Qu'avant le chant du coq nous serons, tous deux, libres...
ALSCYTE
D'aller, membres liés, nager au fond du Tibre.
ENCOLPE
Nous éviterons Rome. Un bateau nous attend.
ALSCYTE
Et penses-tu payer le passage comptant? Ou sommes-nous conviés à bord de ta galère Comme apprentis-rameurs ou troupiers mercenaires?
ENCOLPE
Tous deux, riches marchands, voyageant par plaisir, Prodigues de deniers...
ALSCYTE
De contes à loisir Surtout! Excuse-moi, mais aux vaines paroles Je préfère l'éclat trivial des casseroles, Et je vais de ce pas ficeler mon paquet Avant qu'on m'ait volé tout ce que j'extorquais.
ENCOLPE
Regarde, âne bâté, la bourse que je t'offre!
ALSCYTE
Pardi! Vide! ENCOLPE
Pour peu, car je sais certain coffre Dont la clé égarée a trouvé dans mon sein Le refuge idéal contre tous les larcins; Mais on vient... Disparais!
(ALSCYTE sort.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:44 | |
| Scène II: PETRONE, ENCOLPE
PETRONE
Encolpe, sais-tu l'heure? Ai-je si peu dormi qu'au sein de ma demeure Le soleil de midi jette ses feux radieux, Rouvrant les plaies, semant la mort, blessant les yeux?
ENCOLPE
Vous avez sommeillé tout le jour. Quand au reste, Les soldats ont brisé la clepsydre et nos gestes Se sont figés dans un immobile présent. Tout avenir est mort; réjouissons-nous-en.
PETRONE
Le monde aura donc bien changé pendant mon somme?
ENCOLPE
Les dieux ont envoyé l'épidémie sur Rome: S'ils voulaient emporter dans leur noble courroux Le criminel, peut-être y échapperions-nous. Les jardins de César sont de grands cimetières. A Cumes, la Sybille a dit que leur colère Soufflerait sur nos toits de violents ouragans, Qu'ils retourneraient la Campanie comme un gant.
PETRONE
Les dieux n'entendent rien aux affaires des hommes.
ENCOLPE
Depuis deux ans César pour reconstruire Rome Fait fondre leurs statues et grossit son trésor.
PETRONE
De creuses effigies!
ENCOLPE
Oui, Seigneur, mais en or: Jupiter mécontent enverra ses comètes.
PETRONE
Puisse-t-il nous plonger dans une nuit complète, Aux tables des banquets pour d'éternels festins Nous coucher délivrés et exempts de destin, Ivres de ne plus voir recommencer le monde Et se lever le jour sur nos vies infécondes.
ENCOLPE
N'appelons pas la mort de peur d'être exaucés: Pardonnez-moi, Seigneur, si j'ai l'esprit faussé Mais je prierais plutôt qu'on m'épargnât les chaînes Qui chargent vos amis, car la nuit est prochaine Où l'on nous couchera, non plus le verre en main, Mais la gorge tranchée en travers d'un chemin. Je préfère être loin s'il faut jouer un drame.
PETRONE
Ta voix tremble, pendard, comme une vieille femme, Tu accepterais tout pour conserver un bien Que l'on t'arrachera tôt ou tard.
ENCOLPE
Oui, fort bien, Le plus tard est le mieux!
PETRONE
Est-il d'autres nouvelles?
ENCOLPE
Le rapport de vos gains pour l'année -peu fidèle, Puisqu'on nous a ravi troupeaux et laboureurs-. L'or, pourtant, échappa à nos accapareurs.
PETRONE
Il est encor bien tôt pour me parler affaires.
ENCOLPE
Je crains qu'il soit trop tard d'ici peu pour le faire.
PETRONE
Tu as raison, il n'y a plus d'utilité A compter le produit de mes propriétés. Le geste est vain, fort bien! C'est sans regret ni doute Que nous pouvons nous en acquitter: je t'écoute.
ENCOLPE
A sept jours des calendes d'Août, sur vos terrains De Cumes, vingt garçons, dix filles, cent ovins Sont nés. Le même jour, on a monté de l'aire Deux cent mille boisseaux de grain de la première Qualité. Même jour, on a mis sous le joug Trois cents boeufs, et serré dans le coffre aux bijoux, Faute de les placer dix millions de sesterces. Le même jour on a crucifié Laërce. Qui avait blasphémé contre notre Seigneur...
PETRONE
Sur mon ordre?
ENCOLPE
Non pas.
PETRONE
Qu'avait-il dit?
ENCOLPE
J'ai peur De l'avoir oublié, car nous étions à Rome. Les chaleurs de l'été font paresser les hommes, Et l'intendant jugea que l'exemple était bon, Propre à décourager les esprits vagabonds. De plus les distractions manquent dans la province.
PETRONE
Devons-nous imiter la cruauté du prince, Rationner le pain noir et promouvoir les jeux?
ENCOLPE
L'odeur du sang rend le peuple moins ombrageux.
PETRONE
Quand la contemplation des actes héroïques Excitait le courage et les vertus civiques, Enseignait le mépris de la mort, on pouvait Trouver aux jeux du cirque un semblant d'intérêt. L'ennui a remplacé la jouissance trouble Et l'effroi religieux. La cruauté redouble. L'habitude a tué le monstrueux plaisir Qui laissait pantelant d'horreur et de désir. Aujourd'hui les marchands, les affranchis s'y pressent Pour voir la tyrannie massacrer la faiblesse. A l'heure de midi les gradins sont déserts; On attend une farce, un poème, un concert. Les spectateurs, lassés, de tout leur long, se couchent, Chassent languissamment de noirs essaims de mouches. Au lieu de musiciens, d'aèdes ou d'acteurs, On traîne dans l'arène un vil conspirateur: Sur le champs on l'égorge; on l'a livré sans armes, - Les fauves écartés, le combat est sans charme – Et l'on jette au public les rebuts émaciés Du repas dédaigné par les lions rassasiés. Au bord de la nausée, on regagne la ville. L'odeur du sang vous suit que le cirque distille, Sa trace immatérielle imprégnée sur nos mains, N'inspire que dégoût de se sentir humain.
ENCOLPE
Je ne vous savais pas disciple de Sénèque.
PETRONE
J'aimais moins l'homme, au vrai, que sa bibliothèque.
ENCOLPE
Si l'on doit mesurer à la vie des penseurs La valeur des idées, leur poids, leur épaisseur, Il restera fort peu de sa maigre éloquence. Lui qui fit pour Néron des discours de clémence Lorsque Britannicus fut blanchi par calcul, Eut-il, un an plus tard, un frisson de recul, Quand César exigea qu'on justifie son crime? Il mentit pour lui plaire et chargea la victime. Pauvre jeune homme, il était noble, il était beau; Sous l'orage, de nuit, on l'a mis au tombeau. Il n'avait pas suffi d'un poison pour l'abattre, Néron en recuisit un nouveau dans son âtre; Par Locuste il le fit ensuite incorporer Aux mets que l'on servait à son frère adoré. Le banquet célébrait sa santé recouverte; Quelques instants plus tard, on lamentait sa perte. Alors, Sénèque entra, ridé, vouté, nerveux; On cherchait sur son front la trace d'un aveu. Il invoqua les dieux entre autres inepties, Nomma l'assassinat ''crise d'épilepsie''. Sa coopération le sauva. Triomphant, Il conduisit César comme on mène un enfant; Agrippine l'avait rappelé de Sicile Désirant pour son fils un professeur docile. Dans son éducation, elle n'avait proscrit Que la philosophie, qui affaiblit l'esprit. Les leçons de morale ont laissé sur l'élève Moins de traces que l'on en conserve d'un rêve. On récolte le fruit de ce qu'on a semé: Dans l'ombre de Néron l'homme s'est consumé. Promu par le hasard écrivain d'élégies, Il enterra Burrus, Agrippine, Octavie, Et puis, victime enfin de ses contradictions, Chercha à devancer sa future éviction. Quel esprit de bazar, allez, quand on y pense: Prêcher la pauvreté, vivre dans l'opulence...
PETRONE
''Le sage n'est pas tenu à la pauvreté Mais doit s'y préparer et ne rien regretter". La possession d'un bien nous le rend inutile. Le pouvoir, quand il l'eut lui sembla bien futile. Sur la fin de sa vie, volontaire exilé, Il fit don à Néron et à ses familiers De son trésor, pour vivre, ascète, à la campagne.
ENCOLPE
Quand ses prêts d'usurier révoltaient la Bretagne! Néron qui regrettait tous ses présents passés
Le somma de mourir plutôt que s'effacer. Du temps qu'il était gras il se voulait stoïque. Il fut épicurien en même temps qu'étique. Il clamait autrefois: ''Trop manger alourdit L'esprit, étrangle l'âme. Il se le tint pour dit, Et, par peur du poison, voulut, régime maigre, N'absorber que de l'eau et quelques pommes aigres.
PETRONE
Il était attablé quand le tribun survint. A ses accusations il répondit, en vain, Ces mots: ''Je ne m'occupe plus de politique"; L'homme nous rapporta cette unique réplique. Néron l'interrogea: montrait-il quelque peur? Il avait répondu sans rage ni stupeur. ''Retourne d'où tu viens rétorqua le monarque, Somme-le de mourir''. Sans la moindre remarque Sénèque s'allongea et s'ouvrit les poignets; Il trouvait la mort lente, il était vieux, geignait, Priait son médecin de couper les artères Des jambes, quand Pauline entra, droite et austère. Elle s'agenouilla dans son sang, supplia Qu'à son époux la mort à jamais la liât. On respecta son voeu, puis on plongea le maître Dans un bain chaud; la mort eût pu le prendre en traître, Engourdissant enfin ses membres accablés. En riant, il lança sur les siens rassemblés Des gerbes d'eau rougie: "J'avais assez de vivre, J'offre une libation à celui qui délivre". Puis, se sentant faiblir, il dicta un discours, Et, lassé de l'attente, ordonna le secours De la ciguë, qu'il but selon la mode grecque. Oses-tu maintenant te moquer de Sénèque? Ou bien, pareillement, tu ne te souviendras Que de mes torts lorsque le messager viendra?
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| | | Sud273 Admin
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| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:48 | |
| Scène III: PETRONE, ENCOLPE, ALSCYTE
ALSCYTE
Seigneur, un sénateur, exprès venu de Rome Demande un entretien.
ENCOLPE
A quoi ressemble l'homme? ALSCYTE
Poussiéreux, fatigué, comme tout voyageur...
ENCOLPE
Nous apporterait-il quelque décret vengeur?
PETRONE
Tremble Encolpe! Tu as le maintien des coupables. Menez-le jusqu'à moi.
ENCOLPE Nous, regagnons l'étable...
(ENCOLPE et ALSCYTE sortent.)
Scène IV: PETRONE, Petus THRASEA
PETRONE
J'attendais un bourreau, mais je te tends les mains, O le plus vertueux des sénateurs romains.
THRASEA
Au moment de franchir ton seuil, Gaius, j'hésite; Je suis venu de loin pour te rendre visite.
PETRONE
Si j'avais pu songer qu'en ces lieux exécrés, A la débauche, au vice, aux plaisirs consacrés, Tu me ferais un jour l'honneur de comparaître, Je t'aurais mieux reçu. Mais je ne suis plus maître Pour longtemps de ces biens transitoires. Tu vois Mes salons dévastés et mes tours sans pavois.
THRASEA
Le temps nous est compté: laissons là l'ironie. Tu me reçus fort bien, un soir, en Bithynie Quand tu étais consul, et que, loin du pouvoir, Nous pouvions sans grief ni scandale nous voir.
PETRONE
Ta politesse est grande, et pourtant je m'étonne Que Petus Thrasea pénètre chez Pétrone.
THRASEA
C'est qu'Anneus Mela, hier au soir, a suivi, Après un an, le fils qu'on lui avait ravi. Sans grâce ni courage, il attendit qu'on mande Le docteur de la cour pour mourir sur commande.
J'ai reçu de sa main les brouillons de Lucain. Tu étais son ami; puisqu'il n'en reste aucun, Je t'apporte les derniers chants de la Pharsale; Tu pourras les cacher dans le fond de tes malles.
PETRONE
Qui parle de partir?
THRASEA
Il le faut. Tigellin Contre toi se répand en propos assassins.
PETRONE
Néron préférera s'attaquer à plus riche... Les patriciens prudents en guenilles s'affichent. Les coffres de Mela trop ostensiblement A la cupidité donnaient des arguments. Je n'ai plus que ma cave et quelques champs en friches.
THRASEA
Tu crois qu'il t'aime encore!
PETRONE
Thrasea, je m'en fiche! THRASEA
Son amitié passée ne te garde de rien.
PETRONE
César a ordonné, j'obéis; tout est bien. Il me fit, de le suivre, une absolue défense;
Il pleurait en partant, craignant que je m'offense: Il voulait rentrer seul dans Rome, épouvanté Que je pusse à la peste exposer ma santé.
THRASEA
Tu crois l'aimer encore!
PETRONE
Thrasea, je m'en moque, Les sentiments ne sont que clinquantes breloques. Qui le vit haranguer la foule à dix-sept ans Est resté aveuglé de son éclat d'antan. Et comme il portait bien son renom de vaillance, Ce jeune Dieu sorti à peine de l'enfance...
THRASEA
Ce pantin monstrueux qu'agitaient au hasard Une femme adultère et un odieux vieillard! Son père, Domitius, proclamait, insensible: "Il ne naîtra de nous que racaille nuisible".
PETRONE
Les soldats l'acclamaient.
THRASEA
On les avait payés. Est-il éloge enfin qu'il n'ait pas monnayé?
PETRONE
Le peuple l'adulait. THRASEA
Les cabotins lui plaisent. Ils trouvent maintenant que la pièce est mauvaise; Ils ont mal supporté que Poppée la Catin Gravisse, au bras de l'Empereur, le Palatin.
PETRONE
Le peuple, sous Néron, a reçu en partage Plus que les neuf Césars lui laissaient d'héritage. Il abolit l'impôt, et, à son tribunal, L'esclave put citer le maître trop brutal.
THRASEA
L'incendie, malgré tout, leur échauffa la bile, Et Néron, affolé, se montra malhabile.
PETRONE
Il ouvrit ses jardins aux errants sans abri.
THRASEA
Les temples, les tombeaux, résonnaient de leurs cris!
PETRONE
Il était à Antium quand, au Cirque Maxime Le feu se propagea. THRASEA
Des milliers de victimes!
PETRONE
Son palais, le premier, fut réduit à néant.
THRASEA
Sans doute, à sa grandeur, 1e crut-il malséant. Le plan, déjà tracé, de sa Maison Dorée Exigeait qu'en un coup Rome fut dévorée; Et l'on vit des soldats rallumer les foyers Que les plus courageux avaient déjà noyés.
PETRONE
En deux heures de temps, une forêt de tentes Jaillit du Champs de Mars dans la nuit éclatante. De toute la Province, on fit venir du grain: Nieras-tu que chacun ait mangé à sa faim? On ne peut empêcher que le sort s'accomplisse.
THRASEA
Devait-il des pillards se rendre aussi complice?
PETRONE
Qui l'avait obligé, pour soutenir l'effort Des citoyens floués, à ouvrir son trésor? Regrettes-tu le bouge ou la ruelle obscure, Suburre vomissant le crime et la luxure? Voies droites et jardins, fontaines jaillissant A l'ombre du portique ou des pins frémissants: Rome enfin surgissait de ses cendres mythiques.
THRASEA
L'empire en a payé le prix astronomique. Et non content pourtant d'avoir saigné les siens, A la fureur du peuple il livra les chrétiens. On pourrait s'écrier: ''Habile politique!" Immolons cette secte aux intérêts civiques! Mais leur supplice affreux a laissé dans les cœurs Plus de juste pitié que de molle rancœur.
On les voit, dans la nuit, courir, vivantes torches, Sur le théâtre et dans l'arène on les écorche.
PETRONE
Sénèque crut, d'un mot, innocenter la cour. Il a soufflé l'idée, puis écrit le discours; Les médisants virent en lui le responsable. THRASEA
L'Empereur n'aime pas se sentir redevable: Il a assassiné ses premiers précepteurs, Il t'épargnerait donc, toi, son dernier tuteur?
PETRONE
Sénèque gouvernait l'état; moi, ses débauches: Il guidait la main droite, et j'étais la main gauche. On ne conduit César qu'en flattant ses passions. J'ai mis dans ses plaisirs de l'imagination. J'étais le confident de ses secrets d'alcôve, Et je croyais dompter le plus cruel des fauves.
THRASEA
Mela le gratifiait d'extravagants festins; Le premier délateur a tranché son destin. Antistus Sosianus, retour d'exil... PETRONE
L'infâme Que Néron condamna comme auteur d’épigramme? Dont tu obtins la grâce afin de le fâcher? L'histoire rit de nous...
THRASEA
Je voulais empêcher Que dénigrer César fût de nouveau un crime, Prétexte à sacrifier d'innocentes victimes.
PETRONE
De sorte que Mela est mort de ton bon cœur!
THRASEA
Crois-tu que mon chagrin soit d'un simulateur? Faute de Sosianus, on eût produit des lettres; Quelqu'un de sa maison l'aurait vendu peut-être. Lucain, sous la torture a bien livré le nom De sa mère avec ceux de tous ses compagnons.
PETRONE
Il avait vingt-six ans et c'était un poète...
THRASEA
A quoi sert le courage au coeur de la tempête? Parmi tes serviteurs traînés dans les prisons Quelqu'un t'accusera d'avoir aidé Pison. Des passions de César tu sais qu'il en est une Auprès de quoi la vérité semble importune, Le meurtre a pour son cœur des charmes si puissants Que le pied aisément lui glisse dans le sang. Le boucher sent la viande, et Néron le cadavre.
PETRONE
Quoi, contre son courroux, en vain chercher un havre? Néron m'a trop aimé pour me laisser m'enfuir.
THRASEA
Contre toute raison, tu choisis de mourir?
PETRONE
C'est trop d'honneur vraiment! Pour moi, Thrasea tremble. Craindrait-il par hasard qu'on nous occise ensemble? Car, lequel de nous deux, à César plus odieux, Siégera le premier à la table des dieux? Quand au Sénat il versa des larmes amères, Sur l'opportun complot qui le privait de mère, Tu osas seul quitter les délibérations Et n'unir point ta voix aux cris d'approbation. Oh, quel raffinement on mit à la bassesse! On tressa des lauriers, on dressa des déesses! Lorsque Poppée mourut, tu t'abstins de pleurer. Tu as fui quand en pompe on voulut l'enterrer. Néron craint ton regard, s'en va si tu l'approches; Tu es, de ses forfaits, le persistant reproche. Mais tout cela n'est rien et l'a peu dérangé; Ce n'est pas en parlant que tu l'as outragé. A sa sublime voix, fis-tu des sacrifices? Apprécias-tu ses vers, fût-ce par artifice? A l'an neuf, versas-tu pour lui des libations? Voilà les attendus de ta condamnation. César a supporté tes critiques, ta haine, Mais méprise l'artiste et ta fin est certaine! Tu accourais, dis-tu, et pour me secourir! A ton tour réponds-moi: es-tu prêt à mourir? Oublions un instant les différents qui fâchent: Moins vertueux que toi, je ne suis pas plus lâche. Me débattre nuirait à mon futur repos; De ma vie, sans un mot, je veux payer l'impôt. L'idée d'être étendu est douce à ma paresse; Depuis longtemps, avec envie, je la caresse. Couché, je veux dormir. C'est assez raisonné, Je meurs autant de fois qu'on voudra l'ordonner! Comme il fait doux! Regarde, enfin le jour décline, Le crépuscule noie le sommet des collines Et Bacchus aviné tend sa coupe à l'envi Aux nymphes, aux ondins et aux sylphes ravis. Tout s'anime et s'étreint dans la nuit consanguine; Sous les flambeaux bientôt il sera temps qu'on dîne. Pour te dédommager de ton gracieux présent, Un lit à mon banquet sera-t-il suffisant?
THRASEA
L'invitation m'agrée plus que tu ne le penses.
PETRONE
Au banquet d'un proscrit on vient avec méfiance.
THRASEA
Je suis fier de savoir qu'il reste deux romains Libres de parler haut sans peur du lendemain. A tout à l'heure.
PETRONE
Ami, j'espère ta venue.
THRASEA
Dans deux heures, Gaius, c'est chose convenue; J'amènerai Rufus que tu ne connais pas.
PETRONE
Tes amis seront tous bienvenus au repas.
(THRASEA sort.)
Scène V: PETRONE, ENCOLPE, ALSCYSTE
PETRONE
Holà, pleutres poltrons, pressons-nous aux cuisines! J'offre vingt coups de fouet à celui qui lambine.
ALSCYTE
Sachant qu'il faut toujours se vendre au plus offrant, O maître, je suis prompt dès qu'on me parle franc.
PETRONE
Alscyte va serrer ces feuillets dans mes livres: Range un peu l'atrium et fais briller les cuivres. Et toi, viens exercer, impénitent bavard, Sur l'ordre du repas les secrets de ton art. Je veux que l'on épuise ce soir les réserves.
ENCOLPE
Et que souhaiteriez-vous, seigneur, que l'on vous serve?
PETRONE
Quelques loirs saupoudrés de miel et de pavot, Arrosés d'hydromel et de frais vin nouveau. Des langues de flamants, des viscères de scares Macérés au vinaigre, et les fruits les plus rares; Des tétines de truies, huîtres et escargots, Du sanglier, de l'ours, à tire-larigo. Mon appétit soudain ne connait plus d'entrave. Viens, allons, de ce pas, extraire de la cave Ce Falerne Opimien que Néron dénigra.
ENCOLPE
S'il faut mourir ce soir, au moins nous mourrons gras!
(Ils sortent. Rideau.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:51 | |
| ACTE II
Scène Première: PETRONE, Petus THRASEA, Musonius RUFUS HERMEROS, ENCOLPE, ALSCYTE
ENCOLPE (à ALSCYTE)
Allons, agite-toi, paresseuse potiche, Plus stupide qu'un bœuf dans un champ de pois-chiches.
HERMEROS
Ne le gronde pas tant; il a des qualités Cachées, que je ne suis pas seul à convoiter. Il suffirait qu'Alscyte aux bains publics paraisse Pour que Rome aussitôt s'éprît de sa jeunesse.
RUFUS (à THRASEA)
Devons-nous supporter ces propos égrillards?
THRASEA
Bois tout ton saoul, Rufus, nous causerons plus tard.
ALSCYTE
Défends-moi, Hermeros!
HERMEROS
Tu cherches des complices? ALSCYTE
On voudrait que j'assure à moi seul le service.
ENCOLPE
Il a laissé deux plats lamentablement choir.
PETRONE
Toutes les punitions sont levées pour se soir.
HERMEROS
Gaius, personne ici n'approuve ta clémence!
RUFUS
Le plus reconnaissant n'est pas celui qu'on pense...
HERMEROS
Quitte un peu ta raideur, ami, et nous souris, Fais jaillir les ruisseaux que l'Ecole a taris; Prouve-nous en action qu'un philosophe austère A, pour la condamner, épuisé la matière, Et nous te fournirons des sujets de discours Qui nourriront ton fiel mieux que tous les concours. Tu seras fier un jour que les hommes s'étonnent Que tu aies pu dîner en face de Pétrone, L'arbitre des plaisirs, selon le nom fameux Que César lui donna.
PETRONE
Le compliment m'émeut. Qu'on se prépare enfin pour le premier service! HERMEROS
Egayons notre humeur à grand renfort d'épices.
PETRONE
Qu'on porte les reliefs de ces hors-d’œuvre aux chiens...
HERMEROS
Dans ta maison, Gaius, nul ne manque de rien!
ENCOLPE (à ALSCYTE)
Eloigne ces gibiers d'allure squelettique Et les mets par nos soins devenus utopiques. (ALSCYTE sort, chargé de plats.)
PETRONE
Redoutant de faillir à ma réputation, Je réponds par avance à vos observations: Je voulais réunir plus de joyeux convives Mais les amis sont loin quand les ennuis arrivent; Parasites, clients, se sont tous défilés, Et je ne puis offrir qu'un banquet d'exilés. Vous ne goûterez point de plaisantes musiques; Remèdes de l'ennui, syrinx mélancoliques, Sistres, pour notre paix, ne tinterez-vous plus, Rythmant de chocs nouveaux les chants qui nous ont plu? Nous n'aurons même pas les secours de la danse, Le trancheur de gigot découpant en cadence Le ventre des pourceaux d'où s'échappe en torrents Poulardes en vessies et faisans odorants. Nous souperons dans de banales écuelles Puisque l'on m'a brisé ma plus belle vaisselle, Les verres du Levant de couleur abricot Et les plats de vermeil aux motifs zodiacaux. Les caissons du plafond qui montraient les comètes Et les révolutions de lointaines planètes, N'ouvriront point ce soir leurs panneaux pour larguer Des parfums et des fleurs sur vos chefs fatigués.
HERMEROS
De ton plafond César fit faire une copie.
THRASEA
C'est la preuve avérée de sa philanthropie!
RUFUS
Le toit de sa maison puisse-t-il l'assommer!
ENCOLPE
Philosophe, vraiment! on t'a fort bien nommé!
HERMEROS (à PETRONE)
Tu nous as épargné les plaintes des poètes, Les mimes, les laïus qui nuisent à la fête, Fatiguent notre ivresse et minent l'appétit.
ENCOLPE
C'est bien dit, Hermeros, trop parler abêtit.
THRASEA
Bonne compagnie rend tout dîner agréable.
RUFUS
Quelles leçons tirer de discussions de table?
ENCOLPE
Que la pauvre machine où l'esprit est enclos Est contente repue, quand le vin coule à flots. Il n'est qu'une façon utile de s'abstraire; Pour oublier le corps, il faut le satisfaire. Pour s'en débarrasser, on doit le rassasier; Jeûner ne sied qu'aux fous, aux pieux, aux extasiés, Et je maintiens, Rufus, que celui qui mastique Perd moins son temps qu'à s'occuper de rhétorique.
PETRONE
Quoi? Tu oses railler un ami sous mon toit! Si tu veux te venger, Rufus, il est à toi.
RUFUS
De semblables présents, je n'ai pas l'habitude; Pardonne à mes façons si tu les trouves rudes, Mais je fréquente peu les cercles libertins.
ENCOLPE
Je suis bon professeur, en grec comme en latin.
RUFUS
J'ignorais qu'il fallait payer de sa personne Pour se voir invité aux festins de Pétrone! Et je n'ai pas besoin de toi, esprit profond, Pâture pour corbeaux, truffe, cruche sans fond, Déchet de lupanar voué à la luxure.
ENCOLPE
Que Musonius Rufus sait bien tourner l'injure! THRASEA
Maîtrise-toi Rufus, tu passes pour un sot!
HERMEROS
N'interromps pas, Petus, le combat des lionceaux! A qui cherra le don que Musonius décline?
PETRONE
Encolpe a fort à faire encore à la cuisine. (à ENCOLPE) Fais vider le bassin où grouillent les mulets Et prélève pour nous leurs délicats filets.
(ENCOLPE sort.)
RUFUS
La mode est aujourd'hui aux poissons de l'Afrique; Le mulet est tombé dans la faveur publique. Le paon sera bientôt le régal des valets: Que de trésors gâchés pour ravir nos palais!
HERMEROS
Tu nous déclareras sans doute abominables Quand je t'aurai conté que pour garnir sa table De poissons fins, car mieux nourris, Vedius Pollo Faisait précipiter ses esclaves dans l'eau; Mais l'hôte était charmant et ses dîners grandioses. Il y manquait pourtant la plus douce des choses, Les bras chargés de fleurs des filles de vingt ans.
PETRONE
Je ne t'offrirai pas ce que tu vantes tant...
RUFUS
Je reconnais bien là ce mépris de la femme Que vous voulez soumettre à vos plaisirs infâmes.
HERMEROS
Je suis célibataire!
RUFUS
Il faut donc t'abstenir!
HERMEROS
Que la loi de Rufus est dure à soutenir! Et puisque nous voici tous privés de compagnes, Permets, Gaius, que ton cuisinier m'accompagne?
PETRONE
Ce n'est plus le gaillard que tu as bien connu.
HERMEROS
Il avait, c’est certain, des talents méconnus Lorsque esclave, autrefois, je servais chez Pétrone. Mais comme le disait l'athlète de Cretone, Ce Milon aux gros bras, le célèbre héros: ''Qui l'a soulevé veau le peut porter taureau!" (à RUFUS) Je vois à ton regard combien tu me méprises.
THRASEA
Il est un peu surpris, c'est tout, par ta franchise.
HERMEROS
J'admire, Thrasea, qu'un fils de patricien Ait choisi la vertu. Moi qui suis fils de rien, Je veux dans les plaisirs consumer l'existence Et brûler tous mes biens. J'ai su la déchéance, J'ai connu les faubourgs où vivent les voleurs Et j'avoue sans rougir avoir été des leurs. Avec la roue je tourne, en bas, en haut, qu'importe! Je jette à tous les vents ce que la vie m'apporte. Je suis riche aujourd'hui, plus que toi, c'est flagrant, Je m'occupe donc peu d'essayer d'être grand. Sur scène, les acteurs peuvent dire la pièce, Tel est appelé fils ou père ou bien maîtresse; Le livret refermé sur leurs brefs mots d'amour, Les masques au tombeau tombent tous sans retour.
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 16:55 | |
| Scène II : PETRONE, Petus THRASEA, Musonius RUFUS, HERMEROS, DIOTUS
DIOTUS
On parle comédie, Pétrone, sans m'attendre... De la noble assemblée, puis-je me faire entendre?
PETRONE
Diotus, cher entre tous, les humbles spectateurs Applaudissent l'entrée du prodigieux acteur.
RUFUS (à part)
Il manquait un bouffon!
DIOTUS
Les compliments me touchent, De qui est réputé la plus fine des bouches.
HERMEROS
Tu as manqué les loirs.
DIOTUS
A leurs mânes, je veux Sacrifier tout à l'heure un tonneau de vin vieux; Mais avant: Hermeros, tu souffriras qu'on nomme Le vieillard respectable et le fringant jeune homme. Car s'il fallait au charme évaluer l'esprit, J'ignore auquel des deux j'accorderais le prix.
THRASEA
Rufus est mon ami.
DIOTUS
Voilà qui me renseigne!
HERMEROS
Philosophe il se dit.
DIOTUS
C'est une honnête enseigne, Mais qui rapporte peu: on se paye de mots! Je te salue, collègue; en nos métiers jumeaux, Tous deux, brillants menteurs, nous agitons des phrases, Toi avec gravité, et moi avec emphase. Mais tu pâlis soudain; malgré moi, il apert Qu'en voulant t'obliger j'ai commis quelque impair.
RUFUS
Je méprise les cris des foules idolâtres. Le peuple se corrompt en allant au théâtre; On lui apprend la ruse avec l'iniquité, On se moque de l'âge et l'on n'y voit citer Que voleurs acquittés, fils indigne, ou drôlesse. Le spectacle du vice engendre la mollesse Et altère les moeurs.
DIOTUS
Que de propos furieux! Il faut rire avant tout de son propre sérieux. Tant ta veine emportée que ta pose raidie A nos yeux éblouis donnent la comédie. Dusses-tu m'opposer fin de non recevoir: Acteur tu es, Rufus, quoique sans le savoir. Les hommes sont tous bâtis de la même tourbe.
RUFUS
J'ai honte d'être né dans un siècle de fourbes!
HERMEROS
Soyons de notre temps! Songeons à partager Des mets plus alléchants et des propos légers.
DIOTUS (à THRASEA)
Tu ne dis rien, ami; qui ne dit mot acquiesce.
THRASEA
Je dis que nous jouons la plus sinistre pièce: En nous les conciliant, nous offensons les Dieux, Et notre hypocrisie nous a rendus odieux. Avant d'avoir franchi le seuil du Capitole, Tel, pour perdre un parent, veut offrir son obole. Tel autre sacrifie pour trouver un trésor. Pour manger sans débours tel vieillard fait le mort. Enfin, quoi d'étonnant? puisque Néron lui-même Brûle, sur les tréteaux, de beugler ses poèmes, Qu'il s'affiche à la course en conducteur de char, Toujours dernier, toujours vainqueur: heureux hasard! L'état chausse cothurne, et qui fait le plus rire Est jugé le plus apte à diriger l'Empire.
DIOTUS
Rester libre en ce temps, c'est vivre réservé.
THRASEA
Nul ne peut m'arracher ce dont on m'a privé.
DIOTUS
Me dira-t-on qui parle avec tant d'assurance?
HERMEROS
C'est Petus Thrasea qui, prenant ta défense, Faisait l'apologie en termes bien choisis Des comédiens sociaux aux masques cramoisis.
DIOTUS
Je te salue, censeur de la vie politique, Tu ne dédaignais pas le costume tragique Autrefois. Je t'ai vu: à Padoue tu chantas.
RUFUS (à THRASEA)
Comment? Vous qui parliez de crime, d'attentat, Lorsque Néron voulut faire paraître en scène Les membres du Sénat.
HERMEROS
Les pauvres, fort en peine
Ont joué, combattu, chanté avec entrain, Bienheureux d'obéir de peur d'être contraints.
THRASEA
Padoue est ma patrie, j'aime fort la musique. Si je me suis soustrait à la honte publique Aux Juvénales, quand Néron nous fit danser, J'aime, hors de mes fonctions parfois me délasser.
PETRONE
César t'en a voulu, plus que tu ne soupçonnes.
THRASEA
Je sais ce que je dois aux bons soins de Pétrone.
DIOTUS
Tout Rome eût succombé à ton talent exquis; On est mieux écouté par des esprits conquis...
PETRONE
Aussi, Néron, prudent, connaissant l'adversaire, A renoncé à le contraindre à nous distraire. DIOTUS
Car plus que les complots ou les censeurs nouveaux César craint le renom de prestigieux rivaux.
HERMEROS
Te souviens-tu, Gaius? Nous étions en voyage Lorsqu'un devin surgit devant son équipage, Qui, après avoir lu les lignes de ses mains, Lui dit: ''Prends garde à toi, ta chute est pour demain!'' Nous ne donnions pas cher de cette faible tête Quand César, de son haut, tout souriant, trompette: ''Je ne m'inquiète pas, je vivrai de mon art'' Et d'accords sur le champ, nous régale au hasard.
PETRONE
Il revenait de Naples, la tête tournée Par les trophées acquis au cours de sa tournée. Craignant que le public fût trop peu conciliant, Il avait recruté déjà les Augustians, Allant jusqu'à choisir lui-même dans la plèbe Les bras les plus vaillants des plus charmants éphèbes. Cette claque triée portait le cheveux long Et savait chahuter avec beaucoup d'aplomb.
HERMEROS
Le succès du concert passa ses espérances; Le théâtre céda sous la foule trop dense. Debout parmi les morts, les Augustians levés Applaudissaient toujours le comédien sauvé.
THRASEA
Je n'oublierai jamais son entrée dans la Ville. Tout le Sénat, en corps, vint s'y montrer servile, Saluant le retour d'Apollon incarné Dans ce prince pansu aux membres décharnés. On avait fait dresser des autels sur les places, Tout était préparé, même la populace Contenait avec goût ses chauds débordements; On avait travaillé dix jours, intensément. Soudain, on entendit le fracas du tonnerre: Le pas de cent chevaux faisait trembler la terre; Une nuée, au loin, fusant de leurs naseaux Semblait porter les chars comme de blancs vaisseaux. Les Augustians parés conduisaient le cortège, Des roses effeuillées sur eux tombaient en neige, Leurs sandales rythmaient leur cri à l'unisson: ''Nous sommes les soldats triomphaux de Nérons". Plus encor que les bras ils avaient la voix forte. Les premiers s'égayaient, la seconde cohorte En guise de faisceaux portait de grands panneaux Où pendaient des lauriers réunis en arceaux; On y lisait: ''voici un prix de tragédie", ''Celui-ci m'est échu lors des gymnopédies'' ''Cet autre me revint par la mort du vainqueur Dont la course effrénée paralysa le cœur". A distance suivait l'interminable chaîne D'esclaves arrachés aux provinces lointaines. Déjà, sur le trajet, les sévirs auguraux Laissaient monter des vols de chatoyants oiseaux; Les victimes liées en vue des sacrifices Offraient leurs ventres chauds à des couteaux complices; Pour flatter l'odorat s'élevait le halo Du safran qu'on jetait, dans les rues, par kilos, Lorsque Néron parut: la pourpre de sa toge Dans la foule ravie suscita des éloges, Au fond des plis tombant sur son ventre replet Quelques étoiles d'or jetaient d'ardents reflets. Il s'était ceint le front de lauriers olympiques, A sa dextre pendait la couronne pythique, Et, comme s'il sortait de quelque mastroquet Le dieu vivant souriait, réprimant un hoquet.
RUFUS
Ce triomphe enflamma son orgueil titanesque; Nous n'avions, de Néron, vu que l'aspect grotesque. Tout Rome n'avait pas avec assez d'allant A grand renfort de bruit applaudi son talent; Il voulait se bercer de louanges plus chaudes: En place des tréteaux où l'on jouait sous Claude, Il se fit édifier un théâtre si haut Qu'on y eût fait entrer quatre mille chevaux. Le temps était bien loin où ses parcs solitaires Refermaient sur ses chants leur silencieux mystère. PETRONE
''De musique cachée, on ne fait point de cas'' Disait-il ''et l'artiste a besoin du fracas Des foules emportées par le son de sa lyre"; Nous n'avons pas osé longtemps le contredire. Quand pour se célébrer il décréta des jeux, J'en ordonnai le cours et fixai les enjeux.
HERMEROS
Sur la foule il pleuvait des sacs de victuailles, Des perles, de l'argent, de l'or et des médailles. Des billets cachetés promettaient par boisseaux L'orge, le mil, le blé, des fermes, des vaisseaux, Des esclaves, des chiens, même des bêtes fauves. Les moins chanceux ont vu pleuvoir sur leur front chauve Des promesses de mort par la croix ou le pal. Fort peu ont réclamé le cadeau impérial...
PETRONE
Pour se soigner la voix avant que de paraître, De sa chambre il avait fait murer les fenêtres. Sous des plaques de plomb il se couchait la nuit, Proscrivait de sa table avec horreur les fruits, Repoussait les conseils et les décisions prises Afin que rien ne vint troubler ses vocalises, S'éclaircissait la gorge avec des vomitifs...
HERMEROS
Et force lavements au pouvoir laxatif.
DIOTUS
Au théâtre, il voulait surtout la vraisemblance, Les guerriers sacrifiés mouraient percés de lances; On recrutait les comédiens dans les prisons
Et je me souviens d'un partisan de Pison Qui finit en Atys, castré, le pauvre diable! Le procédé n'eut pas de fortune durable: Un Icare jeté au milieu des débats Couvrit Néron de sang du haut jusques en bas. Il consentit enfin à mettre sur la scène Un peu plus de dialogue et moins de chair humaine. Tu conviendras: Rufus, que la réalité S'efforçait de singer la théâtralité; On vit cette année-là la belle comédie D'Afranius qui portait pour titre L'incendie.
RUFUS
C'est le même souci de pure vérité Qui poussa l'empereur à se représenter En Oedipe plaignant son double parricide. Et que nous avons ri, quand, de sa voix acide, Il jeta dans des pleurs de comédien cabot ''Père, mère, épousée m'appellent au tombeau". Que ne se creva-t-il les deux yeux pour conclure, Avant que de partir errer à l'aventure!
DIOTUS
Il n'a fait que reprendre avec moins de bonheur L'effet comique qui causa mon déshonneur. Tu te souviens, Rufus, des quatre tentatives Avortées que Néron, dans sa haine naïve, Avait accumulées pour soulager l'Etat D'une mère trop lente à courir au trépas. Le poison, par deux fois, la trouva insensible. D'accidents surprenants elle devint la cible; Comme elle déjeunait son plafond s'effondra. On trouvait des serpents égarés dans ses draps. Le bon Anicetus qui dirigeait la flotte Dicta un procédé: on fit grande ribote, Néron voulut conduire Agrippine en bateau; Il l'embrassa bien fort, répétant "A bientôt". Las, dès qu'il s'éloigna, le malheureux navire S'ouvrit en deux moitiés comme un fruit qui expire. Au milieu des marins aux rames attachés Une seule nageuse apparut aux archers. On découvrit trop tard que c'était la servante: Agrippine trouva l'expérience éprouvante; Elle n'aurait pas dû si loin s'aventurer Que d'écrire à son fils pour le mieux rassurer. Sans stèle on l'a enfouie sous un malheureux tertre: C'est ainsi que Néron répondit à sa lettre. Or, c'était peu de jour après que le Sénat Avait fort applaudi à son assassinat; Je jouais une pièce en soi fort anodine, De celles qu'on peut voir en même temps qu'on dîne. Le public sur les rangs ne riait pas bien fort, Je ne me trouvais pas payé de mes efforts. Parler, en ce temps-là, prenait des airs de crime; Je résolus un soir de m'essayer au mime. C'est ainsi, qu'ayant fait le geste de manger Sitôt après suivi de celui de nager, Je donnai à ce vers un sens peu ordinaire: ''Portez-vous bien mon père et vous aussi ma mère". Thrasea s'en souvient sans doute au demeurant Car le Sénat était assis au premier rang, Et c'est, montrant du doigt cette assemblée auguste Que je jetai ces mots, dans l'occasion fort justes: ''Prenez garde, l'enfer vous tire par les pieds". Le propos, m'a-t-on dit, ne fut pas apprécié. Néron, clément parfois, sans haine me condamne, Et me voilà; j'étais comédien d'atellanes, On m'exila dans Atella, sans un holà Pour qu'il ne fût pas dit que César immolât Par rancœur un rival en son art trop célèbre. La comédie n'eut pas de conclusion funèbre. Persistes-tu, Rufus, à croire qu'un acteur N'apprend que lâcheté et ruse au spectateur? Et toi, noble Gaius pour prix de ma tirade, Ne m'offriras-tu pas une forte rasade?
Scène III: Les précédents, ENCOLPE
PETRONE
Vois le maître de chais.
DIOTUS
Fontaine de mon cœur, Sur mes mots desséchés, verse un peu ta liqueur... N'est-ce point là l'odeur des faisans de Colchide?
ENCOLPE
Des pintades d'Afrique, et de taille splendide Deux canards en leur sang à la broche dorés.
HERMEROS
Nos estomacs, Gaius, en sont fort honorés.
THRASEA
Nous avons tous parlé beaucoup sans nous entendre.
PETRONE
Amis, les mots servent surtout à se méprendre: Abandonnons tout net les propos superflus.
DIOTUS
Ah, quand la faim nous tient, rien d'autre ne tient plus!
PETRONE
Je veux dans la seconde abréger ton supplice; Encolpe, il est grand temps pour le premier service.
(Les esclaves apportent les plats tandis que le rideau tombe.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 17:47 | |
| ACTE III
Scène Première: PETRONE, THRASEA, RUFUS, DIOTUS, HERMEROS, ENCOLPE, ALSCYTE
DIOTUS
Gaius, je dois en vers célébrer tes splendeurs, Fragrances et bouquets, fumets, parfums, odeurs...
HERMEROS
Ah ça, fiers compagnons, bâillonnons cet Ovide Qui parle de rimer quand nos verres sont vides, Qui, le ventre rempli, veut faire assaut d'esprit Et nous croit de bons mots plus que de vin épris.
ENCOLPE
Emplis sa coupe, Alscyte, il n'est pas assez ivre Puisqu'il se veut saouler de mots et non de vivres.
DIOTUS
Rufus, prendras-tu point ma défense à ce coup, Ou veux-tu qu'au poète on tranche aussi le cou?
RUFUS
Quant à l'utilité, si l'on vise au pratique, Un glouton est moins vain qu'un poète lyrique.
DIOTUS (à PETRONE)
En faible prose au moins, l'inutile histrion Veut remercier bien fort le noble amphitryon, Car, outre l'excellence avérée des volailles, Ton sanglier, Gaius, était une trouvaille, Et sa farce d'olive et de noix un régal Qui restera longtemps, je le crois, sans égal.
RUFUS
Je voudrais cependant, Pétrone, qu'on m'explique Le bonnet d'affranchi qui le coiffait.
ENCOLPE
Unique Rescapé des combats qu'hier livraient nos couteaux, Libre nous l'avons fait, car l'usage est fort beau Au cirque, de gracier le vainqueur solitaire Qui s'est défait sans peur de tous ses adversaires.
THRASEA
Tenterais-tu, Gaius, par un piquant hasard De nous faire manger les restes de César?
HERMEROS
L'ours m'a paru plus fin, s'il se peut, que le reste.
DIOTUS
Je louerai quant à moi, au lieu du plat, le geste Qui fait que nous mangeons, par un retour pervers, Un gibier fort friand de notre propre chair.
PETRONE
Tu as raison Encolpe, il faut d'autres bouteilles Pour tuer en Diotus le monstre qui sommeille. Alscyte apporte-nous ce Falerne subtil. (Alscyte sort.) Encolpe, va chercher le squelette!
ENCOLPE
Plait-il?
PETRONE
Es-tu devenu sourd soudainement ou bête?
ENCOLPE
Le vœu est incongru...
PETRONE
Va donc te mettre en quête Du squelette d'argent dont la convocation Sied, selon la coutume, à toute libation.
ENCOLPE
C'est que...
PETRONE
Eh bien?
ENCOLPE
Enfin...
PETRONE
Parle!
ENCOLPE
Pour qu'on l'apporte, Il faut trouver la clé de votre armoire forte. Dans le capharnaüm que la troupe a laissé, On l'égara sans doute... PETRONE
Ou tu t'es empressé De la mettre en lieu sûr. Je voulais, c'est dommage Y puiser pour vous deux un supplément de gages, Mais si je n'en puis pas dans l'instant disposer C'est de coups et non d'or que je vais t'arroser. Qu'est-ce que signifie cette moue circonspecte? Pour nous prouver que c'est à tort qu'on te suspecte, Allonge dévêts-toi vite, honnête serviteur, Montre ton innocence aux yeux inquisiteurs.
HERMEROS
La demande, frater te parait importune?
DIOTUS
Ah, le sort ne veut pas que tu fasses fortune!
ENCOLPE
Tiens! La voilà! O Jupiter, divin farceur, Quel tour m'as-tu joué? PETRONE
Tais-toi, blasphémateur, Et rachète aussitôt, de par ta promptitude Le signe si patent de ton ingratitude.
(ENCOLPE sort. ALSCYTE rentre, chargé d'une amphore.)
Scène II : PETRONE, THRASEA, RUFUS, DIOTUS, HERMEROS, ALSCYTE
RUFUS
Pourquoi donc l'épargner? Que ne le grondes-tu? Tu flattes le voleur et punis la vertu.
PETRONE
Tu as des illusions, jeune homme, sur le monde, Tes jugements trop vifs sur des rêves se fondent: Tu nous veux vertueux, intègres et hautains Quand nous sommes pervers, orgueilleux, libertins. Un homme vertueux n'est qu'un masque hypocrite Cachant sous sa rigueur les vices qui l'habitent. Tu veux des châtiments par souci d'équité, Quel plaisir crapuleux nourrit ta cruauté? Encolpe trouverait trop de charme au supplice Et c'est en l'en privant que je réduis son vice. Non, ne t'insurge pas, je sais trop ce qu'il vaut Je l'ai ramassé nu au fond d'un caniveau. Mais j'aime son humeur, sa feinte couardise Et son application à toutes les bêtises. Tout autre m'indispose, Encolpe me distrait, Je lui pardonne tout pour cet unique attrait. Nous ignorons ce que l'avenir nous réserve, Il faut savoir flatter les vices qui nous servent. Dans deux cents ans d'ici, nul ne se souciera Si j'ai été clément, généreux ou ingrat.
DIOTUS
Ce que l'on n'attend point nous vient par la traverse, La fortune se moque de nous; aussi, verse, Esclave, dans ma coupe, un vin qui, seul réel, Endormira nos maux, nos rancœurs, notre fiel.
RUFUS
L'histoire montrera la noirceur de l'époque.
PETRONE
Les récits qu'on écrit sont toujours équivoques. Le bien cessera-t-il un jour d'être ennuyeux! Dis-moi, de qui crois-tu qu'on se souvienne mieux, Cassandre vertueuse ou Hélène adultère? I l n'est de vrai pouvoir que sur l'imaginaire. THRASEA
A ce compte, Néron, pour la postérité, S'assure, criminel, un renom mérité!
PETRONE
On l'eût oublié bon, poète débonnaire. Il s'est fait parricide, inceste et incendiaire.
DIOTUS
Que m'importe demain, la vie est à saisir, Il ne faut se guider qu'aux appels du désir!
PETRONE
Sa légende déjà colporte des mensongers. Nous fabriquons aussi le monstre qui nous ronge: On raconte l'avoir entendu qui chantait Le soir de l'incendie sur les tours du palais Un poème sur Troie aux harmonies sublimes, Et Néron n'a jamais pu aligner trois rimes. Les meurtres de la nuit lui sont tous imputés; Il a depuis longtemps cessé d'exécuter Ses rondes de taverne et n'ose plus se battre Depuis qu'un fort brigand l'a rossé comme quatre. Et nous, qui parlons tant, quelle fascination Nourrissons-nous à l'égard de ses exactions?
RUFUS
Il ne craint point les Dieux!
PETRONE
Ah la formule est belle! Je l'ai vu de mes yeux qui pissait sur Cybèle.
RUFUS
Et ces gestes impies lui seraient pardonnés? Les Dieux nous rendent ce que nous avons donné.
PETRONE
C'est notre peur, Rufus, qui créa des chimères... Bientôt nous pourrirons comme toute matière.
HERMEROS
Nous promenons, outres enflées, notre embonpoint, Vessies remplies d'orgueil, de vin. Insectes point! Moins que les mouches, qui, soutenues par leurs ailes, Bourdonnent quand nous résonnons vides crécelles, Bulles crevant dans l'eau avec le son d'un pet.
THRASEA
Je ne vois pas vraiment l'homme sous cet aspect.
RUFUS (à PETRONE)
N'as-tu jamais senti ce génie qui t'agite, Le Dieu, qui dans ton cœur, malgré la chair, habite, Ce qui n'est pas astreint comme nous à mourir?
PETRONE
C'est là le châtiment que tu veux encourir? N'ayant pas bien souffert de se brûler les ailes, Nous vivrions cent fois des destins parallèles, Tombant du même ciel dans un semblable enfer. Referme bien sur moi ton néant, Jupiter, Conserve pour le sot la stupide espérance D'endurer les tourments d'identiques naissances!
RUFUS
A l'heure où nous causons, un peuple d'opprimés Contre la décadence est en train de s'armer; Chaque jour, leur espoir et leur droite conduite Attirent de nouveaux adeptes à leurs rites. Leur foi fait vaciller l'Empire divisé.
DIOTUS
L'arène étouffera ces complots déguisés! Ils réclament la mort et font vœu de martyre, Exauçons-les, et pour le reste, laissons-dire.
THRASEA (à RUFUS)
Tu parles justement des chrétiens, redoutons Plus que le lion furieux la rage des moutons Et qui nous veut plier sous la houlette unique En partageant nos biens dans la fureur mystique. Nos Dieux l'eussent admis déjà parmi leurs rangs, Mais le dieu des chrétiens est seul intolérant.
RUFUS
Ils dénoncent l'usure et le concubinage...
HERMEROS
A peine admettent-ils qu'on parle de mariage!
RUFUS
Condamnent l'adultère et la fornication.
DIOTUS
Mais veulent que leur femme ait de l'éducation!
PETRONE
Tu es bien exalté par leur triste morale! Leur chef n'a-t-il pas dit qu'on donne en parts égales Au dernier arrivé comme au premier venu, Veut le pauvre priver, offrir au parvenu? Ne conseille-t-il pas de haïr père et mère? "Ce monde est le miroir de la mort, on y erre" Et celui qui le hante est, pour lui, déjà mort. Il est un homme enfin qui lui ressemble fort, Qui s'est chargé aussi pour nous plaire des crimes Dont Rome innocentée n'est que l'humble victime, Qui a multiplié pour son peuple le grain, Qui donne aux pauvres gens et que le noble craint, Qui se moque des dieux car il est Dieu lui-même: L'as-tu bien reconnu?
RUFUS
Pétrone tu blasphèmes!
PETRONE
Nous détenons de divergentes vérités, Des bribes de tableaux par les ans effrités Reflets brisés de nos croyances éphémères Qui ne forment jamais qu'une œuvre fragmentaire. Le monde par nos yeux? Un univers moyen Qui confère au néant le sens qui nous convient. Je hais les illusions qui partagent mon être... Que je voudrais, dans la nuit douce, disparaître, Et conserver, vivant, l'unique liberté Que ton espoir chrétien prétend encor m'ôter. La délivrance est là, dans ce verre à mes lèvres Ou dans le lac profond où s'éteignent nos fièvres.
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 17:52 | |
| Scène III : Les mêmes, ENCOLPE
ENCOLPE
J'ai retrouvé, Seigneur, le précieux bibelot.
PETRONE
Viens là, que je te paye aussi de ton complot!
ENCOLPE
Maître!
PETRONE
Point de discours, allons, esclave, approche!
ENCOLPE
Je n'ai rien dérobé, tâtez un peu mes poches.
PETRONE
Allons, un peu plus près, que je voies bien tes yeux. Tiens, voilà par avance un beau cadeau d'adieu.
(Il le gifle. ENCOLPE tombe à ses pieds.)
Tu es un homme libre, et tu peux, tête haute Assumer désormais entièrement tes fautes. Tu trouveras sur mon bureau le document Qui te rendra maître de toi, absolument.
ENCOLPE
Que ferai-je sans vous? La vie sera si triste.
DIOTUS
N'as-tu point de projets?
ENCOLPE
Si fait, de pleines listes, Tant, que je ne saurai jamais lequel choisir Et que l'hésitation m'empêchera d'agir. Je suis libre? Bien vrai?
HERMEROS
On te le dit, bourrique! Et César a voulu cette loi magnifique Qu'on ne puisse jamais plus te changer d'état.
THRASEA
C'est contre le Sénat que Néron l'emporta...
PETRONE
Levons nos verres pleins à la vie qui commence.
ENCOLPE
Las, comment m'acquitter de ma reconnaissance?
(PETRONE se saisit du squelette.)
PETRONE
O Jupiter tonnant, voici ton serviteur, Garde-le, comme moi, sous ton bras protecteur. Les Parques en ont fait une corde qui vibre A tous les vents; maintenant que le voici libre, Ne lui enlève pas ses illustres talents De lâche, de bouffon, conserve son élan Au voleur perverti qui, dans son cœur, sommeille, Au videur d'escarcelle, au videur de bouteilles, Et que sa bouche d'or toujours sans repentir Plus franchement encor se consacre à mentir. Encolpe est le miroir des brutes que nous sommes, Tu l'as créé parfait pour mieux tromper les hommes. En son temps il est né, ladre entre les larrons, Digne fils d'un empire avili par Néron. Dépêche-toi de peur que la vie soit trop brève; Ecume sur la mer se consument nos rêves, Bois et ris, car bientôt tu lui ressembleras.
(Il jette le squelette à HERMEROS.)
HERMEROS
O mes vaisseaux brûlés, ô pilotes ingrats, De votre perte jamais rien ne me console Hormis de vous noyer dans la première fiole, Espérant retrouver aux flancs de mon flacon La menteuse liqueur de vos serments sans fond. Amour, peureux escroc que les pleurs effarouchent, Que tes flèches brisées plus jamais ne le touchent. Arrachez-lui le cœur s'il en reste un morceau, Dieux qui faites de nous des lions ou des pourceaux, Eternels poursuiveurs de projets chimériques Livrés pour vous distraire au destin ironique. Bois et ris, car bientôt tu lui seras pareil, Dénudé et puant, couché sous le soleil.
(Il jette le squelette à THRASEA.)
THRASEA
Affranchi, crains pourtant de n'être jamais libre, Prisonnier du plaisir, pantin en équilibre, Attiré par l'abîme, attiré par le ciel, Esclave du désir, esprit artificiel. Conserve-lui surtout la faculté de rire, O Mars, l'innocuité de son souriant délire; Ne souffle pas l'esprit au dedans du tronc creux, Ni le savoir amer, père du doute affreux. Bois et réjouis-toi, bientôt, légère cendre, Chez Pluton tu seras appelé à descendre.
(Il jette le squelette à DIOTUS.)
DIOTUS
Animaux égarés dans d'imposants salons, Nous bouffissons orgueil parce que nous parlons. Tranchons les cordes de nos voix, brisons nos lyres; On trahit souvent moins sa pensée à écrire. Quel monde reposant qu'un univers muet! Vous m'avez à l'instant rabattu le caquet, Ainsi, fier Apollon réprime sa faconde, Soulage-nous du flux de sa verve féconde : Bois et réjouis-toi, car bientôt, silencieux, Le comédien en noir te fermera les yeux.
(Il jette le squelette à RUFUS.)
RUFUS
Bien que je n'aime pas la coutume égyptienne, A vos exhortations, je vais joindre la mienne. Homme de peu, on t'a rendu pareil à nous; N'oublie jamais qu'un jour tu marchas à genoux. Crache sur les tyrans et fais servir ta ruse A de plus nobles buts que ceux dont tu t'amuses. O Prométhée qui meurs chaque jour sous le bec, Verse un peu de ton sang pour gonfler son cœur sec. Bois et ris, car bientôt on portera en terre Ce corps d'ombre qui t'a dérobé ta lumière.
(Il jette le squelette à ENCOLPE.)
ENCOLPE
Tu m'as donné la vie, ô maître, par deux fois; Je n'ai rendu que peu d'estime et peu de foi. Tu m'as ainsi choisi et si je suis coupable C'est d'avoir obéi de façon admirable. Me sachant trop aimé j'ai abusé de tout: Chaque abus pardonné m'était un autre atout. Tu as toujours rétribué mon insolence, Tu as encouragé ma rieuse indolence. J'ai force ma nature afin de t'obliger Et je me suis chargé sans jamais transiger. Mon fardeau, près du tien, m'a toujours paru mince, Quand tu courbais le dos sous les hontes du prince Et que tu te livrais, dégoûté, aux plaisirs, Usé de veilles, sans jamais te ressaisir. Si je pouvais te rendre enfin ce que tu donnes, De son bât impérial j'affranchirai Pétrone, Mais aucun dieu n'entend les hommes comme moi; Pour quand nous serons morts, bois et réjouis-toi!
(Il lance le squelette à PETRONE qui s'est levé à l'entrée de SILIA.)
Scène IV : Les mêmes, SILIA
PETRONE
Silia je n'espérais pas, dans mon infortune, Que Diane descendue de son rayon de lune Honore mon repas de ses charmes puissants Et coule sur mes plaies des regards apaisants.
SILIA
Ce n'est pas pour dîner que j'arrive de Rome, Cravachant tout le jour de lourds chevaux de somme, Maudissant la lenteur de leurs pas épuisés, Les bourbiers de la route et les essieux brisés.
DIOTUS
Sans retard, mes amis payons-la de sa peine; Un verre, Alscyte, afin qu'elle reprenne haleine.
SILIA
Je ne veux pas me joindre à votre libation, Je n'aurai que colère et sourde imprécation. Au moment où partait la garde descendante, J'ai quitté le palais, travestie en servante. Tigellin, hier au soir, a enfin obtenu Ce décret que sa haine avait tant soutenu. Un traître, je ne sais qui, mais de tes esclaves A, contre toi, lancé des accusations graves. On te reproche d'avoir connu Scevinus Que Pison désigna pour frapper César; plus, On t'accuse d'avoir, à Scevinus le traître, Fourni jusqu'au poignard pour mieux frapper ton maître.
PETRONE
J'ai connu Scevinus, je ne m'en défends pas, Je l'ai souvent convié; il vint à mes repas. Nos goûts nous rapprochaient, mais cette tête folle S'est laissé abuser par des espoirs frivoles. Quant au couteau, chez moi, il en traînait partout Et celui-là peut-être est le mien après tout!
THRASEA
Ce n'est pas vrai Gaius, tous savent bien à Rome Que Flavius Scevinus était un méchant homme Et qu'il est mort frappé de ce fameux poignard Qu'il avait fait forger pour éventrer César. Un serviteur zélé en retourna la lame Contre le comploteur, et -morale du drame-, César offrit au meurtrier, pour son forfait, Les biens de l'assassin dont il l'avait défait.
SILIA
Je sais qu'on a payé celui qui te condamne De deux mille deniers en or.
HERMEROS
La belle manne! THRASEA
Scevinus était lâche, et sans regret aucun, Il a laissé mourir le malheureux Lucain.
SILIA
On a trouvé aussi, pour mieux te compromettre Chez Anneus Mela, une sinistre lettre Qui te désigne au moins comme l'inspirateur De Mela, de Lucain et des conspirateurs.
THRASEA
Je peux en témoigner, c'est une calomnie,
Car j'étais chez Mela, j'ai vu son agonie, J'ai fouillé ses papiers pour chercher des fragments De mémoires secrets, ou quelque testament, Bien avant que César dépêche ses cohortes Et n'ordonne aux soldats de fracasser sa porte.
SILIA
Il y avait son sceau au bas du document.
THRASEA
Lucain mort, quelqu'un s'en est servi indûment. Contre Mela on a produit les mêmes preuves: La cire des scellées était coulante et neuve.
SILIA
Néron, sur mon conseil, t'a d'abord défendu, Mais Tigellin nous a tous les deux confondus, Prétendant que j'allais révéler sur les places Les secrets que César cache à la populace. Il amenait pour emporter la décision Quatre esclaves nubiens convaincus d'évasion: Néron, bien trop pressé d'ordonner leur supplice, A cédé au ministre en même temps qu'au vice: Le décret est signé qui prévoit ton exil, Sans doute un messager déjà l'emporte-t-il.
THRASEA
César, tu le sais bien, jamais ne se ravise. Ta disgrâce signée, ta vie est compromise; Bientôt un assassin suivra le messager.
ALSCYTE
Maître, il faut dans l'instant, vite, déménager... HERMEROS
Ecoute-moi, Gaius, j'ai, tout près, un navire Prêt à appareiller pour le lointain empire, Rempli d'huile, de vin, fort bien aménagé Pour la plaisance, mais vide de passagers. Avant de voir pâlir les premières étoiles, Nous nous mettrons sous la protection de ses voiles.
PETRONE
A ta délicatesse, ami, je rends honneur. Tout cela n'est pour moi qu'un incident mineur. Mais, en m'avertissant en cette heure suprême, Vous encourez, Silia un châtiment extrême! Hermeros, ton bateau lui sera un abri, Tu l'emmèneras loin de Rome...
SILIA
A aucun prix Je ne consentirai à m'enfuir si tu restes.
PETRONE
Le sort ne nous promet que surprises funestes!
SILIA
Je veux les partager comme des philtres forts.
PETRONE
L'avenir, contre nous, travaille avec effort. Compagnons, nous voici au croisement des routes, Au milieu de la nuit, dans l'ultime redoute: Que servirait de fuir? Attaché à mes pas, La haine de César exige mon trépas. Il me retrouverait au profond de l'Afrique, Dans l'île qu'il destine à ma honte publique; Il a manqué de cœur et je veux devancer L'ordre définitif qu'il craint de prononcer, Car j'ai connu des joies à nulle autre secondes, J'ai goûté aux plaisirs et aux peines du monde: Et les ai trop souvent façonnés de mes mains; Quel tourment inconnu peut m'apporter demain? Je sais tous les parfums, les meilleurs et les pires, Mes lèvres ont testé tous les vins de l'empire, Mon coeur a épuisé l'éventail des passions, Dicté la cruauté comme la compassion. Je ne souhaite pas faire appel à la clémence, Je ne dirai pas un seul mot pour ma défense. Non, le temps, désormais, pour moi, est arrêté, Dorénavant, je ne puis que me répéter.
SILIA
Avons-nous visité les provinces lointaines? Gaius, t'es-tu baigné dans toutes les fontaines? PETRONE
Au bout d'un long périple, à quoi bon retrouver Nos douleurs que le temps se fait fort d'aggraver? On s'emporte avec soi toujours dans ses bagages, Ce qu'on croit enterré nous rattrape en voyage. Tout n'est que vain effort dans nos agitations; Nous mouvoir nous distrait de notre condition, Un pauvre instant, au gré des contrées qui défilent: Il n'est d'éternité qu'au cœur de l'immobile. Comme le chat, je veux, au milieu du chemin, Me coucher sur la pierre et ignorer demain. Je me suis détaché des pauvres apparences, J'ai descendu la vis sans fin des déchéances, Défendu tour à tour des systèmes rivaux, Il n'est plus que la mort où trouver du nouveau. L'univers s'est inscrit dans les murs de ma chambre, Son cours se reproduit de janvier à décembre. O nuit, ventre serein des feux qui ne sont plus, Ouvre-moi ton portail pour que j'échappe au flux; Sur tes vaisseaux légers, emporte mes tempêtes, Je veux rendre au néant cette âme qu'on me prête Et me désenchaîner de la roue du destin. Je vous ai réunis pour ce dernier festin, Je voulais, jusqu'à l'aube, amis, que l'on m'escorte, Puis, que vos mains, sur le vide, ferment la porte. Je vous entendrai rire en franchissant le seuil; Eloignez de vos fronts les masques froids du deuil, Gardez pour les vivants les espoirs utopiques, Ne m'affligez plus de propos philosophiques, Donnez-moi des vers gais, car s'il me faut choisir, Je veux trouver encore à mourir, du plaisir.
SILIA
Tigellin à son tour peut tomber en disgrâce, César verra que nul ne peut prendre ta place.
PETRONE
Non, parmi les vivants, Néron est déjà mort; Sans moi il sombrera sous le poids du remords. Si sa conscience lui ménage quelque trêve, La honte le poursuit dans son sommeil: il rêve. La statue d'Octavie le tire par les pieds, Des nuées de fourmis le mangent en entier, Chaque nuit, il croit que, tout vivant, on l'embaume; J'ouvre pour lui la voie vers de nouveaux royaumes. Je dois enfin quitter ces mornes oripeaux; Qui veut de mes poignets délier les liens de peau? Hermeros? Thrasea? Encolpe? Non! Personne? Le silence étonné répond seul à Pétrone. Alscyte, apporte-moi ce couteau dont le fil Tranchera d'un coup sec mon inutile exil.
SILIA
Non, Gaius!
PETRONE
O Silia, retenez fort vos larmes, Car, malgré moi, votre souffrance me désarme; Ne rendez pas cruel le repos qui m'est doux, Détachez vos regards de moi: détournez-vous... Je meurs en vous aimant...
(Il s'ouvre les veines.)
THRASEA
Et toi, Rufus contemple Ce courage à périr qu'il te donne en exemple.
(Rideau.) | |
| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 22:20 | |
| Acte IV
Scène Première: PETRONE, THRASEA, RUFUS, SILIA, HERMEROS, DIOTUS, ENCOLPE, ALSCYTE
PETRONE
Amis, par mon sérieux, j'ai bridé votre humour, Diotus tu ne ris plus? Venez à mon secours Par la frivolité de vos plaisanteries; Afin que je m'en aille avec l'âme ravie. Sentez-vous comme moi l'ivresse qui vous gagne Et le sang chaud du vin que le rêve accompagne?
DIOTUS
Un pichet de plus peut dans mes veines couler Avant que sous la table, ivre, j'aille rouler: Ah, quand je suis bien saoul, ma verve se libère Et je ne donnerai pas trois sous de ma mère.
PETRONE
Pour vous, esprits brillants, je décrète un concours; Comme gage dernier, comme preuve d'amour, Faites-moi, compagnons, une belle épitaphe. Je veux que le passant sur mes cendres s'esclaffe. RUFUS
Thrasea, je m'en vais.
THRASEA
Le vin n'est-il pas bon?
PETRONE
Ton estomac, Rufus, soudain fait-il des bonds? Ou est-ce le spectacle cru qui te dégoûte De ce lac que mon sang vient grossir goutte à goutte?
ENCOLPE
Si, par manque de cœur, tu crains de dénoter, Le vomitorium est dans la pièce à côté.
DIOTUS
Il serait impoli de se lever de table Quand notre hôte bientôt, n'en sera plus capable!
PETRONE
Ah, Diotus si fertile en vers à contretemps, Ne m'as-tu pas trouvé quelque trait épatant, Que je fasse graver une devise rare Sur un joli tombeau, en marbre de Carrare?
DIOTUS
Je suis bon satirique et mauvais impromptu.
PETRONE
Force-toi pour l'ami!
DIOTUS
Voyons, qu'en penses-tu? "J'ai dévoré, j'ai bu, je suis à jamais ivre, Désormais nul ne peut plus me priver de vivre."
HERMEROS
Le vers est mal tourné dans son rythme.
DIOTUS
Vraiment?
THRASEA
Et je l'ai déjà lu sur un vieux monument.
PETRONE
Sur mes lèvres, Silia, faites naître un sourire.
SILIA
Si tu veux me forcer, Pétrone, à la satire, Dans le Falerne aussi je noierai mon chagrin. Allons, Muses, à moi! un bon mot dont le grain Comme ceux du raisin, amère friandise, Eclate sous la dent; voici donc ma devise: ''Là repose celui qui m'a appris l'amour, J'ai depuis eu beaucoup d'élèves à mon tour."
PETRONE
Encolpe, note donc la piquante épigramme.
DIOTUS
Ce n'est jamais en vain qu'on se confie aux femmes.
HERMEROS
J'ai trouvé, quoique bref, un plus saignant pamphlet: ''Ci-git, plat maintenant, ce que l'orgueil enflait.''
Mais ce n'est pas pour toi qui ne fus jamais dupe Des honneurs et des biens dont tous se préoccupent.
PETRONE
Encolpe, ton esprit me ferait-il défaut?
ENCOLPE
C'est qu'à bien composer j'ai pris le temps qu'il faut: ''Je ne crains plus la faim, ni l'impôt, ni la goutte, Les rigueurs de la loi, ni les brigands des routes.''
HERMEROS
Joli.
SILIA
Mais pour un ladre ou bien un magistrat.
DIOTUS
Voyons si Thrasea maintenant te battra.
THRASEA
Je craindrais de blesser par des phrases frivoles L'hôte qui n'eut pour nous que de douces paroles.
ENCOLPE
C'est l'instant, orateur, de montrer que l'on a De brillants défenseurs jusqu'au sein du Sénat.
THRASEA
"J'étais pervers et fou car j'incarnais l'époque, Je ne fus pas, je fus, ne suis plus et m'en moque." Y a-t-il trop de sel dans ce mot malheureux Ou bien conviendra-t-il à l'ami généreux?
PETRONE
Le sort en est jeté; la phrase me résume. J'ai trouvé grâce à toi ma citation posthume. Maintenant, mes amis, pour mieux vous délasser, Dans le salon de bains, je vous prie de passer. J'ai fait, comme il se doit, aussi chauffer l'étuve.
(Tous se lèvent sauf SILIA, THRASEA, RUFUS et ALSCYTE sortent.)
Scène II: PETRONE, SILIA, HERMEROS, DIOTUS, ENCOLPE
DIOTUS (ivre)
Ah quelle idée, Gaius, se mettre en une cuve Pleine d'eau! Quand on a l'esprit fort embrouillé Des vins les plus précieux, à quoi bon se mouiller?
PETRONE
Encolpe, donne-lui la clé de notre cave!
DIOTUS
Ah non, pas de faveur, il faut que je me lave, Quoique l'eau ait des dents qui nous rongent le cœur Et qu'on s'y liquéfie pareillement qu'en pleurs; Je n'ai pu aujourd'hui aux bains publics me rendre. Ce n'est pas ma coutume: aussi, il faut comprendre; J'étais à un enterrement - fort beau d'ailleurs !- Oh, pardon... L'ivresse trop vive... sa chaleur, L'abus des épices fortes... puis trop de viandes, Ma langue ne fait plus ce que l'esprit commande.
HERMEROS
Allons, viens te baigner!
PETRONE
Tu ne m'as pas blessé, Je m'excuse, Diotus, de t'avoir fait passer De l'enterrement au repas de funérailles.
HERMEROS
Fileras-tu, lourdaud, pesante outre à mangeaille!
(HERMEROS et ENCOLPE sortent, poussant DIOTUS. Silence.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 22:24 | |
| Scène III: SILIA, PETRONE
PETRONE
Silia, garderez-vous ce silence offensé?
SILIA
Avant que de mourir, Gaius, as-tu pensé Au désert effroyable de ma solitude?
PETRONE
Vous vous consolerez. Vous prendrez l'habitude De ne songer à moi qu'à travers la couleur Douce du souvenir.
SILIA
Tu ris de ma douleur!
Piétine mon chagrin, je demeure soumise; Délecte-toi d'un cœur que ton agonie brise, Perce-le des poignards forgés par ton mépris.
PETRONE
Ne rendez point cruel, pour un cœur trop épris L'instant qui, malgré nous, pour jamais nous sépare; Je ne veux pas, Silia que la peine m'égare, Je ne souhaitais pas vous revoir, ne pas faiblir, Et c'est vous qui venez m'ordonner de mourir!
SILIA
Insulte mon amour, c'est en vain, je pardonne; Croiras-tu que je puisse un jour haïr Pétrone? Moi qui puis supporter ce silence oppressant Alors que je le vois tout dégouttant de sang.
PETRONE
Nous nous sommes baignés dans le sang des victimes En nous taisant.
SILIA
Nous n'avons point commis de crime.
PETRONE
Pour Octavie, nous n'avons pas assez parlé.
SILIA
Devions-nous à Poppée aussi nous immoler? Que pouvions-nous, Gaius? César, dans sa démence Nous aurait écrasés, de toute sa puissance. Sur ton conseil, il consentit à éloigner Octavie.
PETRONE
De ses pleurs, j'ai trop peu témoigné; J'ai soufflé à Néron le prétexte imbécile A sa répudiation, la prétendant stérile.
SILIA
Mais tu as refusée pour son assassinat D'écrire le discours destiné au Sénat. Tu as laissé Néron forger un artifice Qui révélait combien il souhaitait son supplice: Il donna pour raison du meurtre, sans façon, Qu'Anicetus l'avait engrossée d'un garçon. Elle fut pourtant seule accusée d'adultère. Sans toi, César dota son assassin de terres En Sardaigne et d'un fief pour son bannissement Où il vit aujourd'hui loin des ressentiments.
PETRONE
Je ne peux oublier que Néron, insensible, A son meurtre trouva un plaisir ostensible: Dix fois le garde dut ressasser son récit Et je l'entends encor nous le livrer ainsi: ''Deux soldats avec moi se sont rendus dans l'île, Octavie était seule, elle lisait Virgile. Lorsque nous lui avons lu sa condamnation, Elle s'est défendue avec force et passion, Pria qu'en souvenir de Claude, l'Empereur Voulût en elle au moins reconnaître une sœur. Nous n'avons pas faibli devant sa feinte peine: D'un glaive, le premier lui a tranché les veines, Mon second a lié ses membres convulsés, Elle nous contemplait de ses yeux révulsés Sans comprendre. Alors pour abréger ses souffrances En un bain, nous l'avons jetée avec violence; Moi, je lui répétais: ''dépêche-toi, César A ses ordres ne veut point souffrir de retard." Comme elle était bien lente à mourir, et peu prête, J'ai ordonné qu'enfin on lui coupât la tête."
SILIA
''Porte-la à Poppée'' a répondu Néron, ''Dis-lui que c'est demain que nous nous marierons."
PETRONE
Et elle n'avait pas la moitié de mon âge.
SILIA
Allons, qu'espérais-tu d'un homme que sa rage Porta à commenter les inégaux attraits Du cadavre tout chaud de sa mère: un secret Que les soldats présents n'ont confié qu'à leur tombe.
PETRONE
Pareils à moi, Silia qui lentement succombe Au gel qui m'engourdit; fait-il vraiment si froid? Non! Je lis dans vos yeux les signes de l'effroi.
SILIA
Un moment, oh, si peu!.. Pétrone, parle encore!
PETRONE
Jamais nous ne verrons de semblables aurores, Ensemble, plus jamais, dans les jardins, de nuit, Nos pas ne froisseront les feuillages sans bruit. Ah, déchirez, Silia, un pan de votre robe Et bandez mes poignets, que la mort se dérobe...
SILIA
Je ne peux pas, je ne veux pas te voir souffrir.
PETRONE
Dépêchez-vous, Silia, je vais bientôt mourir. Montrez que vous avez une âme de romaine. Avant que de mourir, souffrez que je promène Une dernière fois dans les parfums du soir Ma solitude, indifférente à tout espoir, Auprès de votre deuil.
(E11e déchire sa robe et entreprend de lui lier les poignets.)
SILIA
Ah, Gaius, je défaille!
PETRONE
Serrez fort, et fixez vos yeux sur la muraille.
SILIA
Est-ce assez?
PETRONE
Oui, le droit a cessé de couler.
SILIA
Le tissu sur le gauche est-il bien enroulé?
PETRONE
Ah, je sens que mon cœur recommence de battre Un peu plus fort, contre la mort, il veut combattre. Mêlez encore au mien votre souffle, et le Dieu Qui fuyait renaîtra de ce baiser d'adieu. Songeant que cette nuit fermera nos paupières, Pouvez-vous m'accorder votre indulgence entière?
SILIA
Quelle faute passée, Gaius, t'en priverait?
PETRONE
Ce forfait dont je garde un éternel regret, Cet acte malheureux dont je me fais un crime, C'est vous avoir livrée, innocente victime, En louant haut et fort votre extrême beauté, Tant, que Néron, jaloux, décida d'y goûter. Le mari de Poppée avait agi de même; César souhaita toujours partager ce que j'aime, Et je vous ai vendue pour ne vous quitter point Quand votre époux voulait vous emporter au loin.
SILIA
Grâce à toi, j'ai connu les puissants de la terre, J'ai échappé, ravie, à ce destin austère De vertueuse épouse, auprès d'un sénateur Qui me voulait reclure et forclore le cœur. PETRONE
Mais je vous ai livrée à la haine, à l'insulte.
SILIA
Ce n'est pas cher payer notre puissance occulte. Dans l'ombre, toi et moi, nous avons gouverné L'empire que César voulait abandonner, Quand lassé de Poppée, au plaisir trop rétive, Il retrouva en moi une oreille attentive.
PETRONE
Nous avons partagé de dangereux secrets.
SILIA
Oui, nous avons vécu! Illustres mais discrets, Nous n’avons jamais pu que brûler en silence.
PETRONE
Notre bonheur parfait en fut la récompense. N'est-ce pas la douleur de la séparation Qui a tissé les liens de notre adoration?
SILIA
Gaius, est-il destin plus cruel que le nôtre? Ni sans toi... PETRONE
Ni sans vous...
SILIA
Jamais l'un avec l'autre, D'un semblable chagrin, nous n'aurons pu bercer Au su de tous, nos cœurs, des mêmes traits percés. Comment souffrir, Seigneur, que cette nuit complice Qui nous a rassemblés, jadis, nous désunisse, Amputant par moitié un monde déchiré D'où la vie peu à peu se voudra retirer? C'est te perdre deux fois, c'est mourir à moi-même Que survivre un seul jour en pleurant ce que j'aime.
PETRONE
C'est entrer de plain-pied dedans l'éternité De savoir que Silia ne m'aura point quitté Que je ne lui serai plus jamais infidèle, Qu'elle vivra pour moi, car je vivais en elle.
SILIA
Dans une heure d'ici, quoi! A jamais perdu!
PETRONE
Silia, sur notre amour, le temps est suspendu. L'instant qui vous arrache à votre dépendance, Non, ce n'est pas la mort, mais la vie qui commence. Nous avons jusqu'ici languissamment rêvé.
SILIA
Et l'instant du réveil est trop vite arrivé.
PETRONE
Pourrai-je à votre bras appuyer ma faiblesse, Mesurer à vos pas l'excès de mon ivresse? Je voudrais remonter une dernière fois Les allées du jardin qui mènent vers le bois. SILIA
Mon bras te soutiendra jusqu'à la mort, Pétrone.
PETRONE
Et par delà?
SILIA
Sortons.
(Ils sortent.)
PETRONE, s’éloignant
Il fait froid.
SILIA
Je frissonne.
Scène IV: HERMEROS, ENCOLPE
ENCOLPE
Ne t'ai-je pas remis la somme par moitié?
HERMEROS
La précaution m'instruit quant à ton amitié.
ENCOLPE
C'est la bonne façon de traiter les affaires, César agit ainsi.
HERMEROS
Tu n'as pas à t'en faire, Le bateau restera à cent coudées du port Et ne partira pas sans Encolpe à son bord.
ENCOLPE
Ne t'ai-je pas remis le prix de deux passages?
HERMEROS
Deux par moitié, voilà qui fait un bon voyage. Il ne te suivra pas, c'est autant de gagné.
ENCOLPE
Ce n'est pas pour Gaius que j'ai tant épargné. Mourir, toujours pour lui, fut une idée tentante: A point nommé, l'occasion comble son attente. Ce ne sont pas mes pleurs qui l'en détourneront. Il n'est d'ailleurs plus temps d'en causer: pour Néron, Pour les dieux ou pour nous, la chose est consommée Et la vie qu'il flambait est presque consumée.
HERMEROS
A qui destines-tu le deuxième billet?
ENCOLPE
A quelqu'un de mes gens.
HERMEROS
Tout à l'heure il pillait Le coffre de son maître, et il joue la pucelle! Ta liberté t'a donc porté à la cervelle?
ENCOLPE
Tu es trop indiscret. Mon or n'est-il pas bon? J'achète ton silence à ce prix.
HERMEROS
Oh, pardon! Mais le coup doit cacher une ruse pendable.
ENCOLPE
Des leçons de morale au sortir de la table? Si je t'ai demandé de rester silencieux Ce n'est pas pour masquer quelque tour facétieux, Ce n'est que par délicatesse envers Pétrone; Je ne veux pas qu'il pense que je l'abandonne.
HERMEROS
Y aurait-il encor trois sous à soutirer?
ENCOLPE
Tu es sans cœur, marchand.
HERMEROS
On me l'a déchiré.
ENCOLPE
Pourquoi me jettes-tu ces regards lamentables? Si tu espères que je me sente coupable, Tu te berces de songes creux.
HERMEROS
Rien de cela, Je voulais simplement...
ENCOLPE
On vient. Restons-en là.
Scène V: HERMERO, ENCOLPE, THRASEA, DIOTUS, ALSCYTE
ALSCYTE
Rufus s'est endormi malgré nos apostrophes.
DIOTUS
Je l'avais dit, c'est bien fragile, un philosophe, Ça n'a pas d'estomac et fort peu de santé, Ça parle à tous les vents sans avoir écouté...
HERMEROS
Bah! laissons-le rêver, ne troublons pas son somme.
DIOTUS
Raconte, Thrasea, à un proscrit de Rome Si les bains que César y a fait édifier Valent ceux dont Gaius vient de nous gratifier.
THRASEA
Comme toujours Néron a mis la démesure Au service exclusif du vol, de la luxure, Et je n'y vais jamais sans un bon serviteur Qui garde vêtements et objets de valeur. Deux bassins aussi grands que des lacs de montagne, L'un chaud et l'autre froid, des masseurs, des compagnes D'occasion pour qui veut: le rendez-vous parfait Des gitons recherchant les vieillards contrefaits. DIOTUS
Et la bibliothèque a-t-elle au moins des charmes, O, timide censeur, que le plaisir alarme? Trouve-t-on les poètes, les grands orateurs, Les pièces de Térence et la fleur des conteurs?
THRASEA
Pas un ouvrage qui soit digne de mémoire, Le temple du mensonge où l'on refait l'histoire; Le peuple n'y lira qu'éloges de César, C'est de l'art officiel le dispendieux bazar. De maints passe-lacets surtout elle regorge; Les jardins vers le soir sont de grands coupe-gorge: Et Rome applaudissait à l'édification De ce miroir tendu à son exécration.
DIOTUS
Si tu savais combien ce monde qui te choque Me manque en mon exil. O plaisir équivoque De se rouler, tremblant, dans la boue des bas-fonds, Puis de sortir tout propre et lavé des affronts.
THRASEA
De propos déplacés fais donc l'économie, Nous venons célébrer une cérémonie; L'oublierais-tu?
DIOTUS
Mais non, j'obéis simplement Aux recommandations qu'on fit expressément: Point de graves propos, que poésie légère.
ENCOLPE
Le rire pour Diotus est forcément vulgaire.
DIOTUS
Pétrone ne voulait-il pas que nous riions? Avant de nous quitter, soyons gais et brillons!
Scène VI: PETRONE, SILIA, THRASEA, HERMEROS DIOTUS, ENCOLPE, ALSCYTE
PETRONE
Tout respire, tout vit; les fleurs telles des urnes Libèrent leurs parfums. Seuls les oiseaux nocturnes Répondent par leurs cris aux appels silencieux De Vénus, de Saturne et des astres aux cieux. Voici venu le temps que mes peines se fondent, Dispersées en nuées dans l’ombre plus profonde. Je vous vois étonnés de ma riante humeur; De mon décès, on avait grossi la rumeur, Ce n'est pas moi mais l'hémorragie qui est morte. Je veux encor manger avant que l'on m'emporte. J'aimerais aussi faire une lettre à César. Qui tiendra le stylet sans trembler?
DIOTUS
Au hasard, Je crois que j'ai le moins à craindre sa colère; Et la mort, après tout, est un mal nécessaire, Dicte et je noterai; je t'écoute Gaius.
PETRONE
"O vénéré César, digne époux de Sporus"...
(rires)
DIOTUS
Je ne saisis pas tout le sel de cet en-tête.
HERMEROS
Quoi? tu n'as pas appris sa dernière conquête?
DIOTUS
Explique!
HERMEROS
Eh bien, Néron, tu le sais a pleuré De tout son cœur le coup de pied trop assuré Dont il frappa Poppée lorsqu'elle était enceinte. Elle n'a point vécu en dépit de ses plaintes. Or, César déversant à son enterrement Des élégies, des pleurs et de jolis serments, Remarque au premier rang celle qu'il croyait morte. L'excès de son amour incontinent l'emporte; Il ordonne à l'instant que paraisse en sa cour La douce enfant qui doit consoler son amour. Las, c'était un garçon!
DIOTUS
Ah, fort bien!
HERMEROS
Néron clame: C'est un signe des Dieux: qu'on en fasse une femme!" Sporus, sur son arrêt, se voit bientôt châtré, Des voiles de l'hymen aussitôt accoutré; Un pontife appelé en hâte les marie.
THRASEA
Oh, si son père avait eu semblable égérie!
HERMEROS
Où qu'il aille, Sporus, à César attaché Le suit. On les a vus s'afficher au marché
Aux statues. Ils empruntent la même litière Et le Sénat pour eux se répand en prières.
DIOTUS
Le fait n'est pas nouveaux je crois me souvenir Qu'à un esclave un jour il prétendit s'unir.
PETRONE
Je peux en témoigner, ce n'est pas chose neuve... Tigellin avait fait un banquet sur le fleuve...
SILIA
C'est là l'événement qui le mit en faveur, Le faste déployé laissa Néron rêveur.
PETRONE
Il y avait deux nuits que nous étions à table Quand on fit à César un cadeau remarquable, Un certain Pythagore...
HERMEROS
Un mathématicien? SILIA
Il n'était même pas médiocre musicien, Mais il portait si beau que César jugea sage De se le réserver pour un meilleur usage.
PETRONE
Plus heureux que Sporus, Pythagore surtout, Remplissait pour Néron le rôle de l'époux...
Mais cela ne fait pas avancer ma missive... Ah, pour nous soutenir, un bon pâté de grives, Alscyte, un fort fois gras préparé avec soin, Et toi, Diotus, copie, sans comprendre au besoin.
(Rideau.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 22:29 | |
| ACTE V
Scène première: PETRONE, SILIA, THRASEA, HERMEROS DIOTUS, ENCOLPE, ALSCYTE
DIOTUS
Ah, Gaius, que voilà une admirable charge! Néron, en la lisant n'en mènera pas large. Tout cela est-il vrai? le festin monstrueux D'organes arrachés aux mourants; c'est affreux! L'as-tu vu de tes yeux?
PETRONE
Aujourd'hui ce qui compte C'est moins le vrai, Diotus, que ce qu'on en raconte. On l'accuse d'avoir livré force captifs A un glouton forain qui les mangea tout vifs, De nourrir le projet de lâcher dans la ville Les fauves affamés sur la foule indocile. Un autre dieu en lui se lève triomphant: Saturne dévorant un à un ses enfants. Dans ses appartements il dort en une cage; Vêtu d'une dépouille de bête sauvage, Il peut y assouvir son ultime passion, Son penchant maladif pour la dévoration. Ayant fait entraver des victimes les membres, Il se donne les jeux du cirque dans sa chambre. J'ai pitié de cet ogre qu'il est devenu, Car sous la peau du lion l'Empereur va cul nu... Ruiné, il a conçu cette idée magistrale: Interdire le port de la pourpre impériale. Il fournit aux marchands le produit en sous-main Puis confisque les biens des revendeurs romains. Pour s'offrir des soldats et de la valetaille Il mettra l'Italie entière sur la paille, Au cœur de la disette à laquelle il concourt Il achète du sable à ses lutteurs de cour Et, geignant sur le sort de l'artiste en ce monde, S'étonne encor du bruit de la foule qui gronde. Bientôt César réduit à vivre d'expédients Dans Rome décimée errera en mendiant.
THRASEA
Le temps, de nos actions, fait des cendres éparses Et nos crimes, demain, seront tournés en farce. Chacun y cherchera sa propre vérité, Construisant le roman qu'il aura mérité.
HERMEROS
Tant de facilité dans la veine comique, Et ne pas nous laisser un récit satirique!
PETRONE
Je n'ai jamais écrit qu'avec beaucoup d'efforts; J'ai corrigé les vers de Néron, j'ai eu tort, Mais j'étais paresseux, indécis et volage, Bien trop pour me contraindre à finir un ouvrage. Je devine que dans quelques années d'ici On posera mon nom sur un mauvais récit, Comme on fait d'Apicius dont l'œuvre singulière Est d'avoir inventé le foie gras sous Tibère: Deux cents ans qu'il est mort; se passe-t-il un jour Sans qu'on lui prête un plat ou un nouveau discours? Eloge des gourmands, un livre de recettes…
DIOTUS Même une pièce ou deux qu'il n'aura jamais faite. Ah, que souhaiter de mieux qu'une gloire posthume Sans s'être fatigué à jouer de la plume?
PETRONE
Nos destinées d'ailleurs ont quelques traits communs: Lorsqu'il eut bien mangé, cet illustre romain Vit qu'il ne lui restait que dix millions en poche; Il en fit un dîner pour régaler ses proches Et puis se suicida sitôt qu'il fut repu. Je m'en vais l'imiter quand nous aurons tout bu... Je ne veux pas laisser de volontés écrites: Néron casserait sous un prétexte hypocrite Tout testament en faveur d'un autre héritier; De plus, j'exposerai le malheureux greffier Qui oserait, malgré sa publique défense, Rédiger l'acte sans faire un legs d'importance A l'empereur; sans descendant, comme Méla, Je souhaite m'épargner cette lâcheté-là. Encolpe, il faut songer à nettoyer mon coffre; Pour Alscyte et pour toi, serviteur zélé, j'offre Un million de sesterces. C'est trop vous confier… Ce Laërce dis-moi, que l'on a crucifié, Avait-il des parents, des enfants, une femme
ENCOLPE
Une épouse et un fils. PETRONE
Pour alléger leur drame, J'affranchirai son fils, tu feras le papier, Et d'un million aussi ils seront gratifiés. Silia emportera deux fois la même somme. (à SILIA) Taisez-vous, je le veux, les discussions m'assomment. Débarrassez-vous-en, vous ferez le bonheur De quelques malheureux qui loueront votre cœur. Pour le peu de deniers demeurés sans usage Que mes derniers amis présents se les partagent.
THRASEA
Je n'ai besoin de rien.
PETRONE
Alors, pour mon repos, Tu verseras aux dieux ce misérable impôt. A ton ami Rufus, je désire qu'on laisse Tout l'argent nécessaire au voyage de Grèce Afin qu'il aille aux sources chercher les leçons Que Rome pervertie refuse à sa raison: Puisse-t-il seulement en revenir plus sage, Moins prompt à condamner, moins sensible à l'outrage.
THRASEA
Soit, je salue pour lui ta générosité.
ENCOLPE
L'or n'aura pas raison de sa morosité!
ALSCYTE
Maître, le jour, bientôt, se lèvera sur Cumes; Les soldats qui viendront ont l'ordre, je présume, D'égorger les témoins comme les accusés.
PETRONE
Tu as raison, Alscyte et je dois m'excuser Auprès des invités d'interrompre la fête; Encolpe finira cette lettre incomplète. Je remercie Diotus d'avoir tant travaillé.
ENCOLPE
Rufus ronfle toujours, il faut le réveiller. Viens Diotus, nous allons secouer la sagesse.
(ENCOLPE, ALSCYTE et DIOTUS sortent.)
Scène II: PETRONE, THRASEA, SILIA, HERMEROS
SILIA
Gaius...
PETRONE
Non, point d'adieu, Silia car le temps presse: Hermeros, je remets son sort entre tes mains.
SILIA
Je veux regagner Rome et montrer aux romains Comment César, le grand, fait œuvre de justice.
PETRONE
Il ne fait, dira-t-on, que juger ses complices; Par vos pleurs, vous vous condamneriez sans recours: N'offrez pas de raison de mourir à la cour.
SILIA
Je retourne au palais, l'occasion est trop belle! Je veux voir ses pleurs quand il saura la nouvelle.
PETRONE
Loin de larmoyer sur mon décès provoqué, Il sera fort fâché de ce repas manqué. C'est bien là justement l'idée qui me console: Tout festin de ma mort lui sera le symbole, Et moi qui n'ai vécu que dans l'iniquité, Je vais mourir dans un sursaut de vanité, Pour plaisanter, jouant une sinistre blague. Silia, veuillez passer à l'index cette bague Couleur de sang versé et d'éternel serment; Néron par son éclat paya mon dévouement. Eloignez maintenant de moi votre tristesse.
SILIA
Gaius....
PETRONE
Non, point d'adieu, Silia car le temps presse.
(SILIA s'incline et sort.)
Scène III: PETRONE, HERMEROS, THRASEA
PETRONE
Hermeros, le bateau que tu as affrété T'aura coûté bien cher pour peu te rapporter.
HERMEROS
J'en ai tiré pourtant le prix de deux passages: Mille deniers.
PETRONE
Je sais… Va, et sois toujours sage.
HERMEROS
Tu n'as pas renversé sur la lampe le vin Qui préserve du feu.
PETRONE
Pratique de devin! Il n'est plus rien ici à protéger des flammes; L'orient croit que le feu peut seul libérer l'âme, Tout est bien... Pense à moi en sacrifiant aux dieux Une coupe parfois.
HERMEROS
Au revoir.
PETRONE
Non, adieu.
(HERMEROS s'incline et sort.)
Scène IV: PETRONE, THRASEA, RUFUS, ALSCYTE
(ALSCYTE entre, soutenant RUFUS)
RUFUS
Quoi, la fête est déjà finie?
THRASEA
Mets-le en selle, Alscyte, et s'il avait l'ivresse trop rebelle, Attache-le à son cheval.
RUFUS
Je vais fort bien!
PETRONE
Nous te croyons, adieu!
RUFUS
Reçois aussi le mien.
(RUFUS et ALSCYTE sortent.)
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| | | Sud273 Admin
Nombre de messages : 419 Date d'inscription : 28/02/2007
| Sujet: Re: Le Festin de Pétrone Sam 16 Juil - 22:34 | |
| Scène V: PETRONE, THRASEA
PETRONE
Thrasea, partageons ensemble un dernier verre.
THRASEA
Après manger, le vin n'a que saveur amère.
PETRONE
Ami, ne te crois pas contraint de me mentir: Ni peine, ni regret, ni joie, ni repentir! Préservons-nous des sentiments; ils affaiblissent. Nous avons partagé un repas, deux services, Nous nous sommes distraits de nos conversations, Pour l'avenir, nous avons fait des libations. L'invité maintenant va repasser la porte, C'est si banal, pourquoi s'affecter de la sorte? Il a fallu dix ans pour resserrer nos liens: Dans peu de temps nous aurons un autre entretien... Je ne veux surtout pas qu'on me chante de thrènes, Car, de nous deux, c'est toi qui descends dans l'arène. Alors, lèveras-tu ta coupe à ma santé?
THRASEA
Si tu le veux, Gaius, j'en serais enchanté.
PETRONE
Prends garde, Thrasea, tu vas bientôt me suivre... Je bois à Jupiter, à celui qui délivre.
THRASEA
Je bois à Jupiter qui console de tout, Qui pleure avec nos pleurs, ami, je bois surtout Au dieu cruel qui nous offrit la douleur d'être, La maladie d'aimer et l'orgueil de paraître.
PETRONE
Approche-toi de moi, Petus, viens délacer Les liens qu'à mes poignets Sllia avait placés.
(THRASEA délie les poignets de PETRONE.)
Et maintenant va-t-en, les Dieux veuillent permettre Que tu te portes bien, comme on dit dans les lettres.
(THRASEA sort.)
Scène VI: PETRONE, ENCOLPE puis ALSCYTE
PETRONE
Encolpe, viens m'aider à mettre un point final A l'épître adressée à mon maître impérial.
ENCOLPE
Pourrais-tu ajouter, par ta sollicitude A mon compte, un nouveau motif de gratitude?
PETRONE
Que veux-tu?
ENCOLPE
Je souhaitais de ton autorité Obtenir un présent que j'ai peu mérité.
PETRONE
Quel est-il ce cadeau qui fait que tu hésites.
ENCOLPE
Je voudrais, comme esclave, emporter mon Alscyte.
PETRONE
Je comptais lui offrir aussi la liberté.
ENCOLPE
Libre de mouvements, il m'aura tôt quitté.
PETRONE
Eh bien soit, après tout, Encolpe, je n'ai cure De votre sort futur, ni de vos aventures. Ecris l'ordre pour moi, apposes-y mon sceau, Puis partez tous les deux par le premier vaisseau.
(ALSCYTE entre.)
ALSCYTE
Maître, nous sommes seuls puisqu'à l'instant l'escorte De Petus Thrasea vient de franchir la porte.
PETRONE
Alscyte écoute-moi, il n'est pas temps encor Que nous te laissions seul décider de ton sort: Encolpe est ton patron, la chose est décidée.
ALSCYTE
Je remercie Gaius d'en avoir eu l'idée.
PETRONE
Lorsque vous partirez pour un plus sûr abri, Emportez avec vous ces précieux manuscrits: Les lettres de Lucain, ainsi que les mémoires Qu'Agrippine écrivit pour servir à l'histoire. Puis, quand je serai mort, vous prendrez un flambeau; Je ne veux pas pourrir dans un puant tombeau. Partout vous répandrez de l'huile sur la pierre: Ce domaine sera mon urne funéraire. Dès que dans le trépas vous me verrez couché, Allumez près de moi les flammes du bûcher. Avez-vous bien compris? Va préparer, Alscyte Les papiers qu'il faut emporter dans votre fuite.
(ALSCYTE sort.)
Scène VII: PETRONE, ENCOLPE
PETRONE
Prends le stylet comme je te l'ai demandé, Je ne peux maintenant que peu te retarder: (I1 dicte.) ''César, j'ai voulu m'adresser à ta conscience; Sans doute, je n'aurai trouvé que le silence: Qui parlera pour toi lorsque j'aurai cessé? Quel autre t'absoudra de tes méfaits passés? Tout jeune, tu aimais le contact de la foule, La nuit, tu te mêlais à eux sous la cagoule, Tu hantais les tavernes et les lupanars. Ils aimaient leur chanteur: tu étais leur César. Ils vantaient tes exploits si tu devais te battre, T'applaudissaient quand tu montais sur le théâtre. Dans Rome tu as fait place nette un matin. A ton palais ne suffit plus le Palatin. La pieuvre sur ses flancs étend ses tentacules Et chaque jour la ville un peu plus loin recule, Si bien que le passant dans la nuit vient graver Sur tes murs neufs ces mots par la garde enlevés: "Citoyens, émigrez pour Véiès, puisque Rome Aujourd'hui n'est plus que la maison d'un seul homme''. Au milieu des viviers, des lacs et des grands bois Nul écho ne répond à tes cerfs aux abois; Pareil à la statue inerte sous la treille, César, en son palais, seul, abandonné, veille, N'osant plus s'assoupir de peur de s'écrouler Sous le poids des forfaits qu'il a accumulés. Souviens-toi de Sénèque et de sa face blême: Sa voix te persécute, hurlant: ''Rentre en toi-même'', ''Fuis la meute enragée des hommes rassemblés"; Terrorisé, tu finis par lui ressembler. Souviens-toi qu'Agrippine, au soldat qui l'immole, Rétorquait en mourant cette unique parole: ''Ah ce coup, je le sais, ne vient pas de Néron.'' Son pardon sonne-t-il comme un ultime affront? Souviens-toi de Flavus, le serviteur fidèle Qui rejoignit Pison: sa voix te souffle-t-elle Comme autrefois, comme il crevait dans tes prisons: ''Je te hais, depuis que, cocher et histrion Tu as frappé ta mère et égorgé ta femme''; L'incendiaire, Lucius, me parait moins infâme. Souviens-toi d'Octavie et de Britannicus, D'Ostorius, d'Anicius et d'Aulus Plautius, De Rufrius Crispin, de Pauline et Poppée, Tous acteurs malgré eux de ta sombre épopée. Leurs fantômes parfois viennent-ils t'arrêter Sous les arcs ébauchés du palais déserté? Souviens-toi de Lucain qui paya de sa vie Le prix qu'il t'arracha pour une poésie. Sa voix sous la torture crie les mêmes vers Qu'au pied de son tombeau tu citas de travers, Evoquant ce soldat qu'un ultime trait blesse, Et qui, agonisant, sourit de sa jeunesse? Tous ceux-là sont couchés, ignorant les tourments, Ils t'appellent en vain dans leur égarement: C'est leur sang répandu en supplices ignobles Qui nourrit les raisins de tes meilleurs vignobles. Et souviens-toi de moi, César, qui, par amour, T'épargne jusqu'au soin de limiter mes jours.'' Voilà, mets le cachet au bas de cette lettre Et puis brise mon sceau... Avant de disparaître Viens m'embrasser. Comment? Tu trembles?
ENCOLPE
C'est normal !
PETRONE
Je ne te savais pas aussi sentimental. Allez, va-t-en joyeux, car je veux, solitaire Comme au premier matin, me fondre à la poussière.
(ENCOLPE sort.)
Scène VIII: PETRONE seul
PETRONE
Ah, je vais te quitter, lamentable prison, Palais des faux semblants où jouait ma raison, Miroir changeant de mes désirs, aube insincère, Qui noie déjà la nuit dans tes feux délétères.
(Il meurt.)
Scène IX: PETRONE mort, ENCOLPE, puis Un QUESTEUR
(ENCOLPE place le corps dans une pose de repos.)
ENCOLPE
Maladroit que tu es, Encolpe, en te pressant Malheureux, tu as trempé les doigts dans son sang...
(Entre un QUESTEUR.)
Le QUESTEUR
Est-ce bien la villa où vit Gaius Pétrone?
ENCOLPE
Que veux-tu?
Le QUESTEUR
Je dois lui délivrer en personne Les ordres de César.
ENCOLPE
Tu le vois, il est mort A l'instant où tu entrais.
Le QUESTEUR
Ah, ça! c'est trop fort! On me fait voyager de nuit, et ventre à terre, On me dit d'être là, matin, à la première Heure; mon cheval sous moi claque comme un chien, Je suis blanc de poussière, et tout cela pour rien!
ENCOLPE
Si tu as faim sers-toi dans les plats froids qui traînent.
Le QUESTEUR
Non mais j'ai soif.
ENCOLPE
De vin? Prends-en une outre pleine...
Le QUESTEUR
Dis-moi puis-je trouver à Cumes quelque part Un dénommé Encolpe?
ENCOLPE
Aurais-tu par hasard Pour deuxième mission d'apporter les espèces?
Le QUESTEUR
Tu es bien renseigné!
ENCOLPE
C'est moi.
Le QUESTEUR
En belles pièces, Le solde de ce qu'on t'avait déjà remis, Cinq cents deniers en or.
ENCOLPE
Mais, c'est du vol! Commis, Tu as plongé la main, je crois dans mon salaire; A deux mille deniers nous avions fait affaire: On m'en doit la moitié.
Le QUESTEUR
Soit, eh bien, nous verrons Si tu auras le front de te plaindre à Néron. Je pouvais aussi bien garder toute la somme Et annoncer ta mort à mon retour à Rome. Sois content que je t’aie laissé si belle part. Tiens! Attrape, avec les compliments de César!
(Il vide son verre et sort.)
Scène X: PETRONE mort, ENCOLPE, ALSCYTE
ENCOLPE Alscyte, il faut partir, allons, qu'on se dépêche!
ALSCYTE
Il est?..
ENCOLPE
Oui, à l'instant. ALSCYTE
J'en ai la gorge sèche! Comment peux-tu garder ce calme souverain?
ENCOLPE
Allons, petit garçon, clos les yeux, tends les mains, Oublie la nuit passée et goûte ma surprise:
N'est-ce pas là la bourse que j'avais promise?
ALSCYTE
Ah ça! tu es sorcier!.. Mais... libre, disais-tu? Quand Pétrone a parlé, Encolpe, tu t'es tu; Tu es maître de toi, et je suis ton esclave.
ENCOLPE
Tu peux tout espérer si tu me sers en brave, Pétrone a voulu me laisser la décision.
ALSCYTE
Ce n'était pas un mauvais maître...
ENCOLPE
De l'action! Hâtons-nous, le bateau n'attendra pas des heures. As-tu répandu l'huile autour de la demeure?
ALSCYTE
C'est fait.
ENCOLPE
Mais qu'est-ce là, que tu veux emporter?
ALSCYTE
Les papiers que nous devions du feu écarter.
ENCOLPE
Laisse brûler, il est tant d'œuvres à écrire... D'ailleurs ce repas me suggère une satire... Mais ce fatras compromettant et poussiéreux Ne contient que mots creux et mémoires sérieux. Ne nous en chargeons pas, fût-ce pour un empire, Car nous ne sommes là, Alscyte, que pour rire.
(Rideau.)
NOTE :
A la fin de la même année, Petus Thrasea fut mis en accusation par Néron et se suicida. Sur cette scène s'achève le texte incomplet des Annales de Tacite.
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